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Entretien de la ministre fédérale des Affaires étrangères Annalena Baerbock avec l’Agence allemande de presse dpa

Annalena Baerbock, ministre fédérale des Affaires étrangères, © BÜNDNIS 90/LES VERTS
Entretiens avec la ministre des Affaires étrangères. Parmi les thèmes abordés : les relations avec la Russie, l’Ukraine, la Chine, la présidence allemande du G7, la politique climatique, les exportations d’armement.
Question : Dans les relations déjà tendues entre l’Allemagne et la Russie, les durcissements s’accumulent, par exemple récemment encore avec l’assassinat commis au parc Tiergarten, à Berlin. Est-ce une raison pour vous de partir dès que possible en Russie, et de ne pas seulement prendre contact par téléphone ? Ou est-ce plutôt l’inverse ?
Annalena Baerbock, ministre fédérale des Affaires étrangères : Dans la situation actuelle, très tendue, il est important pour moi d’avoir des échanges étroits. C’est pourquoi d’ailleurs j’ai téléphoné rapidement à mon homologue russe. Nous aurons certainement l’occasion de nous rencontrer en personne bientôt.
Question : Lors d’une visite en Ukraine, le coprésident des Verts, Robert Habeck, n’avait pas exclu la livraison d’armes à ce pays pour qu’il puisse se défendre. Considérez-vous également que de telles livraisons sont possibles ?
Annalena Baerbock : Les États du G7 et l’Union européenne ont indiqué très clairement qu’une escalade militaire supplémentaire à la frontière ukrainienne et surtout une violation du droit international et de la souveraineté de l’Ukraine auraient des répercussions politiques et économiques massives pour la Russie. Si nous énumérons nos modes d’action possibles, la liste est longue. Mais il s’agit maintenant d’empêcher une nouvelle escalade. Cela passe uniquement par la diplomatie : dans le cadre du format Normandie mais aussi dans celui du Conseil OTAN-Russie et de l’OSCE.
Question : C’est donc un refus de livraisons d’armes de quelque type que ce soit à l’Ukraine ?
Annalena Baerbock : Une nouvelle escalade militaire n’apporterait aucune sécurité supplémentaire à l’Ukraine.
Question : Le chancelier fédéral, Olaf Scholz, a déclaré que le gazoduc germano-russe Nord Stream 2, qui fait l’objet de controverses, était un projet relevant du secteur privé et que la décision sur sa mise en service était une décision apolitique. Est-ce aussi votre avis ?
Annalena Baerbock : L’examen juridique du projet relève à l’heure actuelle de l’Agence fédérale des réseaux. Olaf Scholz et moi-même avons décrit cet état de fait avec des mots différents. Mais le gouvernement fédéral précédent avait déjà clairement affirmé avec le gouvernement américain que l’énergie ne saurait être utilisée comme une arme ou que cela aurait des effets considérables. Et c’est également vrai.
Question : Par le passé, l’ex-chancelière fédérale Angela Merkel a elle aussi toujours rangé ce projet dans la catégorie du secteur privé, mais elle a également ajouté par la suite que Nord Stream 2 comportait un pan géopolitique. Olaf Scholz a laissé cet aspect de côté.
Annalena Baerbock : Ces dernières années ont montré, y compris face aux différences de perception en Europe, le rôle géostratégique de Nord Stream 2. L’ancien gouvernement fédéral a donc également reconnu que ce gazoduc posait aussi des questions sécuritaires.
Question : Le sujet montre qu’il peut y avoir là des points de friction entre la chancellerie et le ministère des Affaires étrangères. Comment voulez-vous empêcher qu’on se pose la question de savoir, comme à l’époque entre le chancelier SPD Gerhard Schröder et le premier ministre vert des Affaires étrangères Joschka Fischer, qui décide et qui exécute ?
Annalena Baerbock : Ce qui caractérise essentiellement la politique étrangère, c’est d’entretenir un dialogue continuel. Cela vaut à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières. En particulier sur les questions à propos desquelles on regarde les choses différemment selon son point de vue, cela peut être un avantage pour la diplomatie.
Question : C’est donc un jeu dans lequel les rôles sont répartis ?
Annalena Baerbock : S’il n’y avait pas des rôles différents au gouvernement, nous n’aurions pas besoin de ministres différents, une seule personne pourrait tout faire. Mais une politique étrangère forte nécessite naturellement que l’on parle d’une seule voix. Que l’on se concerte sur les questions essentielles. Et c’est ce que nous faisons, non seulement régulièrement entre la chancellerie et le ministère des Affaires étrangères, mais aussi, par exemple, avec les ministères de l’Économie, de l’Intérieur ou d’autres encore.
Question : Dans vos premiers déplacements officiels, vous avez parfois visité des pays avant le chancelier fédéral. Vous êtes-vous concertés aussi à ce sujet-là ?
Annalena Baerbock : Il est évident que nous nous concertons sur les questions centrales au sein du gouvernement.
Question : Concernant la politique vis-à-vis de la Chine, vous avez pris clairement position dès avant votre entrée en fonction à propos du rôle plus important que devaient y jouer les droits de l’homme. Est-ce toujours votre position en tant que nouvelle ministre des Affaires étrangères ? Il existe des doutes sur votre réelle capacité à parler d’une seule voix à ce sujet, Olaf Scholz et vous.
Annalena Baerbock : Avoir une position claire ne signifie pas parler de plus en plus fort jour après jour ou devoir répéter les mêmes choses vingt fois. Sans quoi arrive un moment où on cesse de vous écouter. Ce qui est déterminant, c’est que nous ayons une ligne commune. Cette ligne, sur la Chine par exemple, figure dans l’accord de coalition : ce sont les trois dimensions du partenariat, de la concurrence et de la rivalité systémique. Il est important que cette ligne européenne commune soit formulée clairement par le plus grand pays membre de l’UE pour que la voix de l’Europe se fasse entendre dans le monde.
Question : Vous avez suggéré d’interdire les importations de produits du Xinjiang à l’échelle européenne. La Chambre des représentants des États-Unis a pris cette mesure il y a quelques jours. Souhaitez-vous que l'Union européenne suive et fasse de même ?
Annalena Baerbock : Le marché commun européen est l’un des plus grands marchés intérieurs au monde. Pour nos entreprises notamment, c’est une question de conditions de concurrence équitables que de s’assurer que les règles et les normes qui s’appliquent aux entreprises européennes et au marché unique européen s’appliquent à toutes les entreprises. Si les normes fondamentales du travail qui interdisent le travail forcé valent à juste titre pour les sociétés européennes, elles doivent aussi s’appliquer aux entreprises étrangères qui veulent vendre des produits sur le marché européen. Mais on ne peut faire respecter cette mesure sur le marché unique européen que si on la consacre conjointement en tant qu’Union européenne. C’est pourquoi la proposition du parlement européen d’interdire l’importation de produits fabriqués au moyen du travail forcé est parfaitement juste, à mes yeux.
Question : Vous avez déclaré que vous souhaitiez discuter de la question d’un boycott des Jeux olympiques d’hiver en Chine au niveau de l’Union européenne. Indépendamment de cette question de principe, avez-vous déjà décidé de vous rendre ou non aux JO ? Vous êtes vous-même très sportive.
Annalena Baerbock : Comme cela a été souligné à plusieurs reprises, nous nous concertons actuellement sur une ligne commune avec nos partenaires européens. Puisque vous me posez la question au plan personnel : oui, je suis une grande fan de sport, mais je sais que je n’irai pas aux Jeux olympiques. Ce n’était pas non plus dans les habitudes des ministres des Affaires étrangères, par le passé.
Question : À votre avis, y a-t-il une chance pour que le G7 redevienne le G8, avec un retour de la Russie ? Et dans quelle direction étendriez-vous le format ?
Annalena Baerbock : Pour la prochaine présidence allemande du G7, il s’agira d’inviter à nos réunions des pays qui non seulement veulent investir dans l’avenir, mais aussi défendent le développement économique dans le respect de valeurs communes telles que la liberté et l’état de droit. Comme nous allons organiser deux réunions des ministres des Affaires étrangères du G7, nous pensons par exemple à inviter des États africains à l’une des réunions et nous consacrer à la zone Pacifique dans l’autre. Il est évidemment très regrettable que la Russie se soit exclue elle-même de ce cercle par l’annexion de la Crimée. Il était juste de signaler clairement, après l’action agressive de la Russie en 2014, que l’on ne pouvait pas poursuivre l’agenda économique sur cette base comme si de rien n’était. On ne peut pas prédire, à l’heure actuelle, quand la Russie réintégrera ce cercle ; l’escalade en cours ne facilite en tout cas pas les choses.
Question : Quel rôle jouera la politique climatique dans la présidence allemande du G7 ?
Annalena Baerbock : Nous constatons de manière dramatique que l’accentuation de la crise climatique ne se contente pas de causer des dommages effroyables aux populations dans différentes régions, comme en Allemagne avec les inondations qui ont frappé le pays cette année. La crise climatique aggrave également les conflits dans différentes régions du monde. Chaque dixième de degré Celcius de réchauffement climatique en moins est une contribution à la sécurité internationale. C’est pourquoi la politique climatique sera une part essentielle de la politique étrangère allemande et donc un sujet central lors de notre présidence du G7.
Question : Outre la protection du climat, quels sont les deux autres thèmes principaux de la présidence allemande du G7 ?
Annalena Baerbock : « Agir avant qu’il ne soit trop tard » est le message principal dont veulent parler les ministres des Affaires étrangères, en mettant l’accent sur les thèmes du multilatéralisme prévoyant et de la résilience des démocraties. La pandémie met en lumière toute l’importance de donner aux organisations internationales les moyens d’anticiper.
Question : Il y a quelques jours, il a été rapporté que le gouvernement précédent avait autorisé des exportations d’armes vers l’Égypte peu avant la fermeture des portes, et même des projets relativement importants, trois frégates et plusieurs systèmes de défense aérienne. Étant donné que vous siégez au Conseil fédéral de sécurité : approuveriez-vous une exportation d’armes de ce type, si elle était à l’ordre du jour aujourd’hui ?
Annalena Baerbock : Nous avons clairement affirmé, en tant que coalition, que nous passerions en revue la politique d’exportation d’armes des dernières années. C’est pourquoi nous travaillons à une loi de contrôle des exportations d’armements qui indique plus clairement les critères en vertu desquels sont autorisées les exportations d’armes. En outre, l’ensemble doit être intégré le mieux possible à l’échelle européenne. Et cette deuxième partie sera le gros morceau.
Question : La question des exportations d’armes est-elle entre de bonnes mains au ministère fédéral de l’Économie, sous la tutelle du ministre vert Robert Habeck, ou ce sujet doit-il plutôt être vu sous l’angle de la politique étrangère et transféré au ministère fédéral des Affaires étrangères ?
Annalena Baerbock : Ce débat n’a rien de nouveau et nous n’avons pas pris de nouvelle décision à ce sujet dans l’accord de coalition. Mais naturellement, la question des exportations d’armes ne peut pas être vue sous le seul aspect économique, elle est aussi une question de politique étrangère, de droits de l’homme, de relations internationales.
Question : Quel bilan personnel tirez-vous de 2021 ? D’abord candidate à la chancellerie, puis on vous a reproché durant la campagne d’avoir plagié des passages dans votre livre - et vous voilà maintenant ministre des Affaires étrangères. Comment avez-vous vécu cette année ?
Annalena Baerbock : Je crois que cette année, au plan politique mais aussi au plan de la société, a été houleuse pour tout le monde. Y compris pour moi comme présidente des Verts et aujourd’hui comme ministre des Affaires étrangères.