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Saisir l’opportunité transatlantique dans une période difficile : notre responsabilité commune dans un nouveau contexte international

La ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock à la New School

La ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock à la New School , © Janine Schmitz / photothek.de

02.08.2022 - Discours

Discours de la ministre fédérale des Affaires étrangères Annalena Baerbock à la New School de New York

C’est un plaisir d’être ici à la New School.

Depuis sa fondation, la New School réalise un travail extraordinaire pour rapprocher les intellectuelles et intellectuels ainsi que les universitaires américains et européens, en particulier ceux qui viennent d’Allemagne.

Dans les années 1930, alors que les nazis cherchaient à anéantir les sciences libres en Europe, c’est au sein de l’University in Exile de la New School que les érudites et les érudits persécutés se réfugièrent.

Aujourd’hui comme à l’époque, la New School est une institution d’exception de par son esprit libre et critique, de par la manière dont ses chercheuses et ses chercheurs, ses étudiantes et ses étudiants abordent les grandes questions de notre époque : de manière interdisciplinaire et en transgressant les cloisonnements intellectuels.

Je suis convaincue que vous faites ce dont parlait Hannah Arendt, qui, comme vous le savez toutes et tous, a également enseigné au sein de cette université, lorsqu’elle évoquait le fait de « penser sans garde-fou ».

Elle décrivait ainsi une approche par laquelle nous faisons preuve de suffisamment de courage pour nous défaire des préjugés et des idées préconçues ainsi que pour nous ouvrir à de nouveaux concepts.

Je vous le dis en toute franchise : cette approche n’est pas toujours inscrite dans l’ADN des responsables politiques.

Mais nous avons aujourd’hui justement besoin de ce que représente la New School en cette période où nous sommes confrontés à de redoutables défis.

Nous devons développer de nouvelles notions.

Nous devons également être disposés à contempler le monde en adoptant la perspective de personnes qui ne partagent pas nos opinions.

Cela fait moins d’un an que je suis ministre des Affaires étrangères.

Lorsque je suis entrée en fonctions, je savais bien entendu que des temps difficiles nous attendaient.

Mais je n’imaginais pas qu’une nouvelle réalité géopolitique verrait le jour sur le continent européen au cours de mes premiers mois en tant que cheffe de la diplomatie allemande.

Le 24 février a transformé notre monde, il a transformé l’Europe.

Ce jour marque l’instant où la Russie a déclenché son impitoyable guerre contre l’Ukraine.

Une guerre qui vise à éliminer un pays voisin indépendant et à annihiler son identité. Le président Poutine qualifie cela de guerre de libération, mais les chars et les missiles russes n’apportent pas la paix et la liberté, ils apportent la mort et la destruction jusque dans les villes, les maisons et les maternités ukrainiennes.

La guerre russe rompt également l’ordre de paix européen que nous avions érigé après la chute du « rideau de fer ». Elle bafoue le droit international et la Charte des Nations Unies. Vladimir Poutine rêve d’un monde régi par la loi du plus fort et non par la force du droit, d’un monde dans lequel de grandes puissances peuvent tout simplement annexer de plus petits États comme bon leur semble.

Nous avons tous cru que la guerre ne reviendrait jamais sur le continent européen et cela s’applique en particulier à ma génération. J’ai 40 ans, je suis née en Allemagne de l’Ouest et j’ai eu la chance de ne jamais vivre en guerre ou sous une dictature.

Mais nous avons été témoins de la terrible réalité alors que nous étions réunis en mars dernier à l’occasion d’une réunion des ministres des Affaires étrangères de l’OTAN : nous étions tous installés dans une salle lorsque notre homologue ukrainien Dmytro Kouleba est apparu en direct à l’écran afin de nous expliquer pour la dixième fois l’atrocité de la situation en Ukraine.

De temps en temps, il présentait des photos. Des photos illustrant l’anéantissement de villes, de maisons mais aussi d’existences. L’une de ces photos représentait un père en pleurs penché sur la dépouille de son enfant. Je pense qu’en cet instant, aucune personne présente dans cette pièce du siège de l’OTAN ne réfléchissait à des théories de politique étrangère ou aux capacités de défense de l’OTAN. Toutes et tous n’avaient qu’une pensée en tête : et si c’était moi, le père ou la mère pleurant la mort de son enfant ? Nombre d’entre nous ont reconnu : cela pourrait tout aussi bien être nous. 

Vladimir Poutine ne mène pas une attaque théorique contre l’ordre de paix européen, contre l’ordre international. Son attaque est terriblement réelle. Kiev se situe seulement à deux ou trois heures d’avion de Potsdam, la ville où j’habite, aux portes de Berlin. Tout comme Boutcha se trouve aux portes de Kiev. J’en ai pris conscience lorsque je me suis rendue à Boutcha et Irpin : cela pourrait tout aussi bien être nous. À l’ère numérique, à l’ère des réseaux sociaux, alors qu’il est parfois difficile de faire la part des choses entre réalité et réalité virtuelle, il est particulièrement important d’en prendre conscience : voici la barbarie à laquelle est confronté tout un chacun en Ukraine.

C’est pourquoi nous avons expressément insisté sur le fait que nous unissons nos forces de manière solidaire, non seulement vis-à-vis de l’Ukraine mais également dans le cadre de cet ordre de paix international que ma génération considérait comme acquis. Mais nous observons à présent que cela ne va pas de soi. Nous devons lutter chaque jour pour la paix, la liberté et la sécurité.

Et ce qui compte pour moi, c’est que cette lutte pour la liberté, la sécurité et la démocratie, nous la devons également aux forces démocratiques en Russie. Le président russe transforme et menace en effet aussi la démocratie au sein de son propre pays.

Avant déjà, le Kremlin prenait nos sociétés ouvertes pour cible en perpétrant des attaques hybrides. Depuis le 24 février, toute trace de la démocratie a presque disparu de la Russie : les militantes et militants russes descendus dans la rue pour manifester au lendemain du 24 février – ils étaient nombreux – ont été incarcérés. Les journalistes ont été opprimés et les forces de l’opposition emprisonnées. Les jeunes ainsi que les entrepreneuses et entrepreneurs quittent le pays. Car ce n’est plus un pays libre.

Cette nouvelle réalité marque une rupture.

Mais je suis également convaincue, et c’est ce dont je souhaite discuter aujourd’hui, qu’elle marque également autre chose : une véritable opportunité transatlantique !

Au cours des derniers mois, l’Allemagne, l’Europe et les États-Unis se sont solidarisés ; ils se sont peut-être même rapprochés comme jamais depuis la fin de la guerre froide.

Nous avons agi avec détermination pour soutenir nos partenaires ukrainiens, imposer des sanctions contre la Russie et apporter une réponse ferme dans le cadre de l’OTAN.

C’est une bonne chose que votre pays assume ses responsabilités envers l’ordre international fondé sur des règles.

Et je souhaite ajouter ceci : je pense que nos sociétés se sont peut-être aussi métamorphosées au cours des derniers mois.

Je perçois chez nos concitoyennes et concitoyens en Allemagne un engouement nouveau pour le partenariat transatlantique.

Et l’on m’a dit que nombreux sont celles et ceux qui, ici aussi, aux États-Unis, ont repris conscience que l’Europe compte !

Nous avons déjà vécu des moments clés par le passé dans notre partenariat transatlantique.

La « Westintegration  » ou l’occidentalisation de la République fédérale d’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale, lorsque le plan Marshall a permis la reconstruction de l’Allemagne en ruines au lendemain du chapitre le plus sombre de notre histoire.

La fin de la guerre froide, lorsque que mon pays a été réunifié dans une Europe unie grâce à nos partenaires américains et européens.

Dans de tels moments, les Américains, les Européens et les Allemands ont su surmonter des bouleversements géopolitiques en resserrant les rangs du partenariat transatlantique.

Aujourd’hui, alors que notre sécurité et notre liberté sont la proie de menaces telles que nous les pensions disparues depuis des décennies, une concertation étroite entre les partenaires transatlantiques nous attend de nouveau.

Nous devons saisir cette opportunité transatlantique.

Nous devons en effet nous en servir pour édifier un partenariat transatlantique irréversible et plus solide pour le XXIe siècle.

En 1989, le président américain George Bush a formulé une célèbre proposition à l’adresse de l’Allemagne : la formation d’un «  partnership in leadership  », d’un partenariat dans le leadership.

Cela ne s’est pas fait à l’époque : cette idée allait trop loin pour la situation d’alors.

Au début des années 1990, mon pays était tout accaparé par la mise en place de la réunification pour tous ses citoyennes et citoyens. Nous œuvrions à ancrer l’Allemagne réunifiée au sein de l’UE.

Mais aujourd’hui, dans un monde plongé dans une nouvelle ère, la donne a fondamentalement changé. Une chose est certaine : le moment est venu, nous devons parvenir à instaurer un partenariat dans le leadership

Il ne s’agit pas seulement de nous, Allemands et Américains, comme nous le pensions il y a trente ans.

Il s’agit de nous tous, Européens et Américains.

Et c’est à mon pays de donner une impulsion décisive à ce projet au sein de l’Union européenne.

Inutile de préciser qu’un tel partenariat dans le leadership n’est pas un projet idéaliste destiné à ramener les bons vieux temps du partenariat transatlantique. J’ai grandi dans l’Allemagne réunifiée et je ne me souviens pas vraiment de la guerre froide.

La plupart des jeunes Allemands de 18 ou 25 ans ne connaissent les célèbres phrases prononcées par les présidents John Fitzgerald Kennedy et Ronald Reagan que par leurs livres d’histoire : le fameux « Ich bin ein Berliner  » (Je suis un Berlinois) et le fameux « Tear down this wall » (Abattez ce mur !) n’ont pas façonné la vision qu’ils ont personnellement des États-Unis.

Et c’est peut-être vrai des deux côtés de l’Atlantique aujourd’hui. C’est une réalité pour de nombreuses personnes, non seulement pour celles et ceux qui étudient dans cette université mais également pour celles et ceux qui vivent aujourd’hui aux États-Unis et dont les origines sont bien souvent ancrées dans d’autres régions du monde : en Amérique latine, en Asie, en Afrique, au Proche-Orient, mais pas en Europe.

Aussi différents les Européens et les Américains soient-ils en ce qui concerne leur parcours individuel et leur biographie personnelle, nous partageons les mêmes valeurs par rapport à notre mode de vie actuel et au mode de vie que nous souhaitons adopter à l’avenir.

Ce qui nous définit, ce sont la liberté et la démocratie.

Ce ne sont que des mots mais nous observons aujourd’hui ce que cela signifie réellement : que l’on ait 8, 29 ou 79 ans, on peut décider librement de ce qu’on mange ou pense, qui on aime, ce dont on discute ou ce dont on rêve. 

La liberté et la démocratie déterminent notre quotidien.

Nous sommes convaincus que la « dignité de l’être humain est intangible ».

Nous sommes convaincus que chaque individu a droit à « la vie, la liberté et la recherche du bonheur ».

La guerre brutale de la Russie a clairement démontré qu’il ne s’agit pas de théories mais de la réalité. Ces valeurs sont en péril.

La liberté, la démocratie et les droits humains sont en péril.

C’est pourquoi nous devons tenir bon.

Et c’est le cœur de notre partenariat dans le leadership.

Trois piliers seront essentiels à ce partenariat.

Premièrement, la sécurité.

Pendant longtemps, suite aux événements de 1989, la sécurité n’a pas été présente dans les esprits des Européens, et en particulier des Allemands. Au lendemain de la guerre froide, mon pays s’estimait finalement « entouré uniquement d’amis ».

Mais cette position a assurément changé.

Les enfants demandent à présent à leurs parents pendant le petit-déjeuner : Maman, qu’est-ce que qu’une arme nucléaire ? D’autres affirment : j’aime vraiment l’OTAN.

Au milieu des années 1980, lorsque je suis née, des millions d’Allemandes et d’Allemands, qui sont aujourd’hui les grands-parents de ces mêmes enfants, descendaient dans la rue pour manifester contre le réarmement.

À présent, ces grands-parents, ces mères, ces pères et leurs enfants sont assis autour de la table de la cuisine et discutent de réarmement ou ils descendent dans la rue pour défendre la liberté de l’Ukraine.

Et cela est vrai également pour d’autres pays européens : la Suède et la Finlande abandonnent leur longue tradition de neutralité pour rejoindre l’OTAN

À Berlin, la guerre russe nous a poussés au sein du nouveau gouvernement fédéral à réviser des positions établies depuis longtemps sur la sécurité ainsi qu’à changer fondamentalement de cap dans de nombreux domaines.

Pour nous, penser sans garde-fou se traduit ainsi :

L’Allemagne a créé un fonds spécial de 100 milliards d’euros afin de renforcer la Bundeswehr

Nous sommes revenus sur des principes concernant l’exportation d’armes qui étaient les nôtres depuis des décennies et l’Allemagne est à présent l’un des plus gros fournisseurs de soutien militaire et financier de l’Ukraine.

Nous avons en outre renforcé les contributions que nous apportons à l’OTAN : l’Allemagne dirige le groupement tactique de l’OTAN en Lituanie et elle mobilise une brigade regroupant jusqu’à 800 militaires, pouvant être déployés sur place le cas échéant. Nous participons à la protection de l’espace aérien au-dessus des pays baltes grâce à nos avions de combat, ainsi qu’à la protection de la Slovaquie avec des systèmes de défense aérienne de type Patriot.

Nous sommes toutefois conscients que nous ne pouvons nous arrêter là. Nous cherchons à renforcer encore plus avant le pilier européen de l’OTAN car nous souhaitons jouer un rôle de premier plan dans le partenariat américano-européen.

L’Europe compte, notamment dans le domaine de la sécurité. Nous en avons fait l’expérience après le 24 février.

Pour que cette thèse prenne corps, nous devons cependant en faire la démonstration et ce, sur le long terme.

Il faut donc que l’Union européenne devienne plus stratégique, que cette Union puisse traiter d’égal à égal avec les États-Unis, dans le cadre d’un partenariat dans le leadership.

Les États membres de l’Union européenne dépensent chaque année des dizaines de milliards d’euros pour leurs armées mais le résultat n’est pas à la hauteur des sommes allouées. Cela découle par exemple du fait que nous employons en Europe plus d’une dizaine de chars différents.

L’Union européenne doit gagner en puissance en tant qu’acteur de la politique de sécurité, les industries d’armement européennes doivent être mieux connectées et l’UE doit être en mesure de mener des opérations militaires permettant de stabiliser les régions voisines.

Grâce à la facilité européenne pour la paix qui a mobilisé plusieurs milliards d’euros destinés à fournir des armes défensives à l’Ukraine, nous avons démontré que l’UE peut agir de manière résolue lorsque cela est véritablement nécessaire. 

Mais au XXIe siècle, la sécurité va au-delà des avions de combat et des chars.

Dans la toute première stratégie nationale de sécurité de l’Allemagne qui se trouve actuellement en cours d’élaboration au ministère fédéral des Affaires étrangères, nous adoptons une approche nouvelle et globale de la sécurité.

Nous nous penchons notamment aussi sur la désinformation qui affecte nos réseaux sociaux, sur les chaînes d’approvisionnement de nos entreprises ainsi que sur l’exacerbation des conflits dans notre voisinage européen induite par la crise du climat.

Et je sais que les États-Unis, ainsi que nombre de nos partenaires européens, font exactement la même chose.

Approfondissons donc notre coopération dans le domaine du développement et de la régulation de technologies critiques ainsi que nos efforts communs pour réduire nos dépendances économiques.

Le Conseil du commerce et des technologies UE-États-Unis fondé l’année dernière a d’ores et déjà largement enrichi notre dialogue dans les domaines de l’IA, de la 6G ou encore de l’informatique quantique.

En réaction à la guerre russe, nous avons intensifié la coordination de nos contrôles à l’exportation.

Ensemble, nous le reconnaissons clairement : nos intérêts et nos valeurs profitent tous du fait que nos entreprises ne rivalisent pas sur nos marchés avec des produits fabriqués dans un contexte de travail forcé.

En Allemagne, nous avons abandonné notre conviction longuement partagée du « changement par le commerce », un concept selon lequel la conclusion de partenariats commerciaux et économiques avec des régimes autocratiques entraînerait ces derniers vers la démocratie.

Nous nous affranchissons donc de notre dépendance vis-à-vis du gaz et du pétrole russes. C’est difficile et cela coûtera cher. Mais c’est absolument nécessaire. En quelques mois seulement, nous sommes parvenus à abaisser la part de nos importations de gaz provenant de Russie de 55 % à 26 %. 

Il est aujourd’hui essentiel que nous adoptions une vision globale de la sécurité.

Tous les investissements dans notre sécurité desservent un objectif central, ce qui m’amène au deuxième pilier du futur partenariat transatlantique dans le leadership : la défense de notre ordre international fondé sur des règles.  

Je le précise d’emblée : cet ordre international n’est pas un ordre occidental.

Il s’agit d’un ordre qui permet à l’ensemble des États de coopérer, de prospérer et de cohabiter en paix, sans qu’aucun État n’ait à craindre une attaque d’un voisin plus puissant.

Il s’agit d’un ordre auquel adhèrent les 141 États qui ont condamné avec nous en mars dernier la guerre de la Russie contre l’Ukraine lors de l’Assemblée générale des Nations Unies.

Et il s’agit de l’ordre auquel adhèrent tous les États qui sont convaincus que nous devons surmonter ensemble les défis d’ampleur mondiale tels que la pandémie de Covid-19, la non-prolifération des armes nucléaires ou encore la crise climatique.

Mais lorsque l’on est originaire d’Europe ou des États-Unis, il ne suffit pas d’insister sur la défense de cet ordre.

Nous devons par ailleurs investir dans l’ordre de paix international, comme nous le faisons dans le cadre du partenariat pour les infrastructures mondiales et l’investissement du G7, par le biais duquel l’UE et les États-Unis mobilisent ensemble plus de 500 milliards de dollars afin de répondre aux besoins urgents des pays de l’hémisphère Sud en matière d’infrastructures.

Nous devons cependant mieux nous concerter dans ce domaine. Il ne s’agit pas de conclure des accords rapides, mais d’investir dans un avenir commun.

Et nous devrions également nous améliorer en matière de communication afin de souligner que les États-Unis et l’Europe demeurent les plus grands donateurs de l’aide humanitaire et de la coopération au développement à l’échelle mondiale. L’année dernière, l’UE et ses États membres ont octroyé 70 milliards d’euros à la coopération au développement.

Il est toutefois une chose que nous devons énoncer clairement et ouvertement : nous devons prêter une oreille attentive à nos partenaires au lieu de leur dire ce qu’ils ont à faire. Il nous faut assumer notre passé, par exemple la colonisation. Et il nous faut reconnaître que nous n’avons pas toujours agi correctement.

Au cours des derniers mois, lorsque j’ai discuté de la guerre russe avec mes homologues d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique latine, j’ai souvent entendu dire : Je vois, vous attendez de nous que nous vous aidions à gérer cette crise dans votre voisinage ? Mais où étiez-vous lorsque nous avions besoin de vous ? Et nous n’avons pas toujours tous de réponse à cette question.

Je me suis récemment rendue dans l’État insulaire des Palaos qui nous apporte son soutien au sein des Nations Unies pour la condamnation de l’invasion russe.

La guerre en Ukraine n’était pourtant pas leur principale préoccupation alors que je me trouvais sur cette magnifique plage palaosienne.

J’étais avec un pêcheur, devant sa maison. Et en m’approchant, je me suis dit : nous discutons de ces maisons qui seront menacées par la montée des eaux dans les vingt ou trente années à venir. Mais sur place, j’ai vu de mes propres yeux que ce n’est pas un problème qui se posera dans vingt ou trente ans, mais dans dix ans déjà.

La crise du climat constitue pour bien trop de pays le plus gros facteur de risque en matière de sécurité.

C’est la raison pour laquelle nous devons placer cette menace sécuritaire, la crise climatique, tout en haut de l’ordre du jour mondial.

En tant que grandes puissances industrielles portant une large part de responsabilité en ce qui concerne l’urgence climatique, nous devons établir ici un partenariat dans le leadership : en nous engageant à réaliser des efforts plus ambitieux pour la protection du climat, mais également en attirant l’attention sur le fait que certains pays n’auront plus le temps de s’adapter à la crise du climat. Ils souffrent d’ores et déjà de pertes et de dommages entraînés par le dérèglement climatique.  

Il est d’autant plus important de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour revenir à l’objectif du 1,5 degré, en particulier en cette période et en préparation de la COP27 qui se tiendra en novembre. Et nous tenons à éclaircir ce point : nous tiendrons notre promesse de financement de la lutte contre le changement climatique à hauteur de 100 milliards de dollars.

Il s’agit également d’une question de crédibilité et de responsabilité internationale. 

Ce n’est qu’aux côtés de l’ensemble des États de cette planète que nous pourrons lutter contre la crise du climat.

Pour ce faire, nous avons besoin de la Chine, l’un des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre, même s’il s’agit d’un concurrent et d’un rival systémique dans d’autres secteurs.

Ce n’est qu’ensemble que nous pourrons lutter contre la crise du climat.

L’ordre international fondé sur des règles repose sur la coopération et c’est justement la raison pour laquelle nous devons prendre toute remise en cause de cet ordre au sérieux, que ce soit en Europe ou ailleurs.

Nous partageons néanmoins l’inquiétude des Américains.

Nous avons douloureusement appris au cours des derniers mois, depuis le 24 février, qu’une rhétorique agressive peut rapidement dégénérer en actes dangereux.

Les déclarations de la Chine en ce qui concerne Taiwan suscitent de sérieuses interrogations.

L’établissement par la Chine de dépendances économiques abusives dans la région ne peut être dans notre intérêt.

Nous observons actuellement la situation et, pour la première fois dans son histoire, mon ministère élabore sa propre stratégie relative à la Chine. Elle sera publiée l’année prochaine et est tout à fait cohérente avec les réflexions stratégiques menées ici aux États-Unis.

À mon avis, cette stratégie devrait notamment viser à coordonner encore mieux les positions transatlantiques quant aux défis que pose la Chine pour notre ordre international fondé sur des règles. 

Nous ne parviendrons cependant à surmonter de tels défis que si nous sommes assez forts de notre côté.

Ce qui m’amène au troisième pilier du partenariat transatlantique de direction commune : le renforcement de nos démocraties et de leur résilience.

 L’Europe et les États-Unis revêtent une telle importance l’un pour l’autre qu’ils ne peuvent rester indifférents face aux évolutions de la situation politique intérieure de l’un ou de l’autre. Il ne s’agit pas d’exercer une ingérence, mais de se préoccuper de nos amis.

Nous constatons que nous sommes tous deux confrontés à des enjeux politiques similaires sur nos territoires respectifs. Il s’agit de problématiques qui dominent également les débats que vous menez ici à la New School : inégalités, justice sociale, racisme, populisme, polarisation politique, affaiblissement des institutions démocratiques.

Bien entendu, les images du 6 janvier 2021 restent encore très présentes dans nos mémoires.

En Europe, la démocratie est également mise au défi : dans certains pays, les droits des personnes LGBTI, l’état de droit ainsi que l’indépendance des journalistes sont remis en cause.

Dans mon propre pays, un certain parti populiste de droite obtient jusqu’à 20 % des suffrages dans quelques régions. 

En tant qu’amis, nous devons discuter ouvertement de ces défis ensemble.

Il ne s’agit pas de répéter le slogan suranné de la communauté transatlantique aux valeurs partagées.

En fin de compte, c’est notre sécurité qui en dépend.

Ce sont nos systèmes démocratiques qui nous unissent, même si la mise en œuvre de nombreuses valeurs diffère.

Cela concerne assurément le débat autour du droit à l’avortement qui déchaîne les passions ici aux États-Unis, où des centaines de milliers d’hommes et de femmes manifestent pour défendre les droits des femmes.

Étant moi-même femme et mère de deux filles, je partage de tout cœur les émotions de ces personnes : toute femme a le droit de disposer elle-même de son corps.

Ce débat prouve également que les démocraties sont complexes. Il est bien plus aisé de taper sur la table en disant : « C’est moi qui décide, tout le monde m’écoute. »

La démocratie est plus compliquée. La démocratie est complexe.

Parce qu’elle est ouverte et qu’elle aime le débat, qu’elle permet de penser sans garde-fou et qu’elle apprécie la controverse.

C’est ce qui la rend vulnérable, de l’intérieur comme de l’extérieur.

Je suis donc convaincue que les Américains et les Européens sont confrontés à une double tâche : nous devons accorder de l’espace aux débats créatifs au sein de nos sociétés afin que nos démocraties puissent se développer, progresser et se moderniser.

Les démocraties ne sont jamais achevées, elles ne cessent de se développer. Elles ne sont en effet jamais complètes et doivent donc toujours s’adapter aux temps nouveaux. Dans le cas contraire, elles s’arrêtent et disparaissent.

Nous devons toutefois aussi prendre soin de protéger nos démocraties face aux tentatives d’en anéantir l’essence même : les valeurs et les institutions dont elles ont besoin pour survivre. 

Nous devrions nous entraider dans la réalisation de cette double tâche, car nous sommes des amis très proches et car c’est dans notre propre intérêt à toutes et à tous.

Je suis heureuse que nous mettions en place une nouvelle plateforme permettant d’alimenter ce débat : le forum d’avenir germano-américain qui se réunira pour la première fois en novembre en Allemagne.  

Nous y rassemblerons de jeunes spécialistes ainsi que des responsables politiques de nos deux pays afin d’élaborer de nouveaux concepts pour nos sociétés et le partenariat transatlantique. En bref, il s’agit de « penser sans garde-fou ». 

Mesdames et Messieurs,

Le 24 février nous a asséné plusieurs leçons particulièrement rudes.

Nous vivons à présent dans un monde où nous devons être parés à toute éventualité.

À une telle époque, je pense que nous pouvons nous inspirer des fondatrices et fondateurs de la New School ainsi que de celles et ceux qui ont créé l’University in Exile.

Dans une période marquée par les doutes et les difficultés, ils ont hissé l’étendard de la liberté de penser et de la démocratie. Ils n’ont pas abandonné, ils sont allés de l’avant et ils se sont engagés pour un monde meilleur.

Si nous sommes en mesure de déployer ne serait-ce qu’une once de leur courage et de leur confiance, nous disposerons de tout ce dont nous avons besoin afin de saisir cette opportunité transatlantique.

Ainsi que pour bâtir le partenariat transatlantique du XXIe siècle, un partenariat dans le leadership entre l’Europe et les États-Unis.

Je suis convaincue que la New School est le meilleur endroit pour se rappeler que tout est possible si tant est que nous sommes disposés à faire face.

Je vous remercie.

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