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« L’obsession du président Poutine n’a pas abouti »

Annalena Baerbock, ministre fédérale des Affaires étrangères

Annalena Baerbock, ministre fédérale des Affaires étrangères, © Thomas Imo/photothek.net

07.09.2022 - Article

Interview accordée par la ministre fédérale des Affaires étrangères, Annalena Baerbock, à l’hebdomadaire allemand Bild am Sonntag.

Question : Madame Baerbock, vous souvenez-vous encore de comment vous est parvenue la nouvelle, il y a six mois de cela, le 24 février, du début de la guerre en Ukraine et d’où vous étiez à ce moment-là ?
La ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock : Oui, je m’en souviens très précisément. Dès le premier jour de mon mandat de ministre, on n’a cessé de me répéter que je ne devais jamais éteindre complètement mon téléphone portable la nuit, que je devais toujours le mettre au moins en mode vibreur. Et au petit matin, vers quatre heures et demie, mon téléphone s’est mis à vibrer. Il m’a fallu un certain temps avant de réaliser que c’était le mien. Une fois que ce fut le cas, je me suis évidemment rendue immédiatement au ministère fédéral des Affaires étrangères.

Question : Cela fait déjà plus de six mois que la guerre d’agression de Poutine a éclaté. La guerre ne semble pas près de s’arrêter, qu’en pensez-vous ?
Mme Baerbock : Vous avez malheureusement raison. Nous devons nous faire à l’idée que cette guerre pourrait encore durer des années car, malheureusement, le gouvernement russe ne démord pas de son idée de faire plier l’Ukraine et les Ukrainiens. Malgré les souffrances occasionnées, nous constatons cependant que l’obsession du président russe de vouloir s’emparer de l’Ukraine dans un délai très court n’a pas abouti. Le courage dont font preuve les Ukrainiens et les livraisons d’armes internationales ont fait que les soldats russes n’ont pas pu sortir leurs uniformes de parade pour célébrer une éventuelle victoire. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que cela ne devienne jamais réalité.

Question : Comment la mise en place d’un cessez-le-feu serait-elle réalisable ?
Mme Baerbock : Il suffirait simplement que Vladimir Poutine arrête enfin de bombarder des innocents et qu’il retire ses chars. Il pourrait en donner l’ordre à tout moment. C’est lui qui attaque l’Ukraine ; il pourrait d’un instant à l’autre cesser de le faire et mettre un terme à toute cette souffrance.

Question : L’Ukraine insiste sur la reconquête de son territoire, y compris de la Crimée. Est-ce une demande réaliste ?
Mme Baerbock : La Crimée aussi fait partie de l’Ukraine. Depuis 2014, date à laquelle elle a eu lieu, la communauté internationale n’a jamais reconnu cette annexion contraire au droit international.

Question : L’Allemagne a longtemps hésité à livrer des armes lourdes à l’Ukraine. Celle-ci reçoit-elle maintenant les équipements dont elle a besoin pour se défendre face à la Russie ?
Mme Baerbock : Nous lui fournissons des armes lourdes. Et je comprends que les Ukrainiens veulent que nous leur en livrions davantage et plus rapidement. Toutefois, les systèmes de pointe en état de marche dont ont surtout besoin les Ukrainiens ne sont pas disponibles en masse dans nos dépôts, prêts à être transportés. Dans le même temps, nous avons promis à nos partenaires de l’OTAN, comme les États baltes, de défendre chaque centimètre du territoire de l’Alliance. Pour ce faire, il est nécessaire que la Bundeswehr fasse preuve d’une capacité d’action. C’est pourquoi nous-mêmes ainsi que d’autres pays livrons à l’Ukraine ce que nous pouvons et que nous avons notamment passé des commandes d’armements supplémentaires.

Question : Mais c’est précisément en Ukraine qu’est en train de se jouer la bataille contre Poutine.
Mme Baerbock : Oui, et c’est la raison pour laquelle l’industrie de l’armement produit maintenant directement pour l’Ukraine. Je souhaite évidemment que la guerre se termine le plus vite possible, mais nous devons hélas partir du principe que l’Ukraine aura encore besoin de nouvelles armes lourdes l’été prochain, des armes que ses amis devront lui fournir. Je suis convaincue pour ma part que l’Ukraine défend également notre liberté, notre ordre de paix, et nous la soutiendrons financièrement et militairement aussi longtemps que nécessaire, un point c’est tout.

Question : Est-ce la guerre de Poutine ou de la Russie ?
Mme Baerbock : C’est la guerre de Poutine, justement parce qu’il ne gouverne pas de manière démocratique. Dans une démocratie, il y a longtemps qu’il y aurait eu un soulèvement contre cette guerre, qui nuit également à son peuple. Mais quiconque se rebiffe en Russie est oppressé, arrêté et emprisonné, et c’est ainsi depuis des années.

Question : Ne craignez-vous pas que l’Europe et l’Allemagne se lassent de la guerre et que la solidarité avec l’Ukraine s’effrite ?
Mme Baerbock : Non, pas si nous arrêtons de nous focaliser là-dessus. Je constate que l’énorme soutien dont bénéficie l’Ukraine ne faiblit pas, dans les écoles, au sein des familles qui ont accueilli des Ukrainiens et chez tous ceux qui me demandent instamment – qu’ils aient 8, 18 ou 80 ans : s’il vous plaît, ne laissez pas mourir les Ukrainiens, aidez-les ! Il est clair qu’à présent, les conséquences de la guerre énergétique du président Poutine pèsent sur le budget de tous les ménages. La division sociale de l’Europe fait partie de la guerre de M. Poutine. Nous devons nous y opposer. Ce ne sera pas chose facile, mais il est de la responsabilité des politiques d’atténuer les difficultés sociales découlant de la hausse des prix de l’énergie.

Question : Quelles mesures le gouvernement doit-il adopter à cet égard ?
Mme Baerbock : Nous devons tout d’abord en finir avec l’idée reçue selon laquelle nous aurions jusqu’à présent obtenu du gaz à bas coût de la Russie. Nous ne l’avons peut-être pas payé chèrement sur le plan financier, mais plutôt en termes de sécurité et d’indépendance. Et les Ukrainiens l’ont payé de leur vie, de multiples fois. L’addition est arrivée trop tard, mais elle en est d’autant plus dramatique.

Question : Si Poutine fermait complètement les vannes du gazoduc Nord Stream 1, devrions-nous ouvrir Nord Stream 2, comme le réclame le vice-président du Bundestag, Wolfgang Kubicki ?
Mme Baerbock : Je me demande parfois si certains n’ont pas compris qu’il ne s’agissait pas d’un jeu avec des règles ni d’un problème de livraison soudain. Cela fait longtemps que les gazoducs de Russie ne sont plus de simples conduites, mais qu’ils font figure d’armes dans une guerre hybride. Si le président Poutine ne fournit plus de gaz par le biais de Nord Stream 1, pourquoi le ferait-il avec Nord Stream 2 ? Les flux de gaz acheminés par Nord Stream 1 sont limités, non pas parce que la canalisation est abîmée, mais parce que Poutine le veut.

Question : Afin de passer l’hiver malgré la guerre en Ukraine, tout est mis en œuvre pour économiser le plus d’électricité et de gaz possible. Pensez-vous que c’est réellement une bonne chose de fermer nos trois dernières centrales nucléaires ?
Mme Baerbock : Toutes les mesures qui nous aideront à passer l’hiver sans encombre sont à mes yeux de bonnes idées. Néanmoins, je ne pense pas que les centrales nucléaires résoudront notre problème d’approvisionnement en gaz. Nous effectuons actuellement un test de résistance pour voir si un problème d’approvisionnement en électricité pourrait survenir en Bavière parce qu’on a tardé à renforcer le réseau électrique dans cette région.

Question : Vous voulez dire par là que vous conseilleriez aux Verts de prolonger la durée d’exploitation des centrales nucléaires si le test de résistance concluait que cela s’avérait judicieux ?
Mme Baerbock : Ceux qui parlent en ce moment de l’énergie nucléaire ne se concentrent pas sur la prolongation de la durée d’exploitation des centrales, mais veulent plutôt un retour en arrière sur le nucléaire. Ces dix dernières années, le va-et-vient sur la question de la sortie du nucléaire nous a coûté plusieurs milliards. Revenir sur cette décision relèverait de la folie et nous coûterait encore plus cher.

Question : Les partis Die Linke et Alternative pour l’Allemagne (AfD) appellent à manifester cet automne. Pensez-vous qu’il est encore possible d’éviter un redoutable hiver de colère par la mise en place de mesures d’allègement ?
Mme Baerbock : Je pense que les citoyens de notre pays savent très bien qui essaie de tirer un capital politique de la guerre et de la hausse des prix de l’énergie. Les responsables politiques et les partis qui font le jeu du président Poutine devraient se rappeler combien nous sommes chanceux de vivre dans un pays démocratique dans lequel nous pouvons nous exprimer librement et manifester.

Question : La situation au Mali est critique. Pourquoi tenez-vous à ce que les soldats de la Bundeswehr restent là-bas ?
Mme Baerbock : Parce qu’ils protègent des vies humaines. Au Mali, des femmes m’ont dit très clairement que, sans la présence de l’ONU, elles ne pourraient pas se rendre au marché en toute sécurité, qu’elles ne pourraient pas envoyer leurs enfants à l’école sans craindre qu’ils ne reviennent plus à la maison. Nous ne sommes pas seuls au Mali, nous y agissons dans le cadre des Nations Unies. Plus de 12 000 soldats de 57 nations s’engagent dans la mission MINUSMA de l’ONU. La Bundeswehr fournit le plus grand contingent de soldats parmi les pays occidentaux.

Question : La ministre de la Défense souhaite un retrait des soldats de la Bundeswehr...
Mme Baerbock : Nous sommes responsables de la sécurité de nos soldates et nos soldats. Si nous ne pouvons garantir celle-ci, nous n’aurons d’autre choix que de mettre un terme à cette intervention, je suis entièrement d’accord avec Christine Lambrecht sur ce point. Nous sommes cependant également responsables de ce qui se passera si nous nous retirons en catastrophe ; si des régions entières tombent aux mains des islamistes, si les filles là-bas ne peuvent plus aller à l’école ou si le Mali entier devient le vassal de la Russie – nous en ressentirons également les conséquences chez nous en Europe, que ce soit sous la forme de nouveaux flux de réfugiés ou même d’attentats.

Question : La situation là-bas n’est-elle pas devenue trop dangereuse après le retrait des troupes françaises ?
Mme Baerbock : La situation au Mali a toujours été dangereuse. Si ce n’était pas le cas, il n’y aurait pas eu plus de 12 000 Casques bleus envoyés dans cette région ces dix dernières années. Nous ne pouvons cependant ignorer que la situation sécuritaire et les conditions-cadres de l’intervention se sont détériorées ces derniers temps. La sécurité des soldates et des soldats reste la plus haute priorité de l’ensemble du gouvernement fédéral. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons augmenté les effectifs de nos troupes après le retrait des Français. Et il s’agit naturellement aussi de compenser la perte des importants hélicoptères de combat français. Le Bangladesh s’est montré disposé à en fournir.

Question : Des hélicoptères du Bangladesh ? La Bundeswehr n’est-elle pas en mesure d’en fournir ?
Mme Baerbock : Étant donné que récemment, seuls 9 hélicoptères de combat « Tigre » sur 50 étaient opérationnels, il nous est impossible d’en envoyer la moitié au Mali. Et bien sûr, je pourrais me faciliter la tâche et dire : tant pis. Mais ce ne serait pas faire preuve de responsabilité. C’est pourquoi je cherche des solutions avec d’autres partenaires internationaux, afin que nous n’abandonnions pas les habitants du Sahel à leur sort et, surtout, que nous n’abandonnions pas non plus cette région à la Russie.

Propos recueillis par Roman Eichinger, Burkhard Uhlenbroich et Alexandra Würzbach

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