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Changement d’époque en Allemagne et multilatéralisme : deux notions pas si contradictoires

Façade d’un immeuble d’habitation détruit à Kiev

Façade d’un immeuble d’habitation détruit à Kiev, © picture alliance/dpa

23.02.2023 - Article

Comment le « changement d’époque » de l’Allemagne s’accorde-t-il aux valeurs du multilatéralisme et d’un ordre mondial fondé sur des règles ? L’éclairage de Jonas Driedger, chercheur spécialiste des conflits.

Le « changement d’époque » a été élu expression de l’année 2022 en Allemagne. Le chancelier Olaf Scholz l’a utilisée en référence au déclenchement la guerre d’agression russe en Ukraine. Que voulait-il dire par là ?

Cela signifiait qu’un profond ajustement de la politique étrangère et de sécurité allemande serait engagé. Concrètement, Olaf Scholz a annoncé de vastes investissements dans l’armée allemande, des livraisons d’armes à l’Ukraine et la suspension de la procédure de certification du gazoduc Nord Stream 2 reliant la Russie à l’Allemagne.

La politique étrangère de l’Allemagne défend les principes du multilatéralisme et d’un ordre mondial fondé sur des règles. Comment cela s’accorde-t-il à ce changement d’époque ?

Jonas Driedger, chercheur à la  Fondation de la Hesse pour la recherche sur la paix et les conflits (HSFK)
Jonas Driedger, chercheur à la Fondation de la Hesse pour la recherche sur la paix et les conflits (HSFK)© TraCe - Forschungszentrum Transformations of Political Violence

Arrêtons-nous d’abord sur le principe d’un ordre mondial fondé sur des règles : on pourrait penser que la livraison d’armes à l’Ukraine entre en contradiction avec ce principe, mais on peut aussi voir les choses autrement. Se porter garant d’un ordre mondial fondé sur des règles signifie prendre au sérieux les règles du système international, les défendre et en sanctionner les violations graves. La souveraineté des différents États constitue la colonne vertébrale de cet ordre mondial. La conquête et l’annexion du territoire d’un pays souverain constituent une violation grave de cette souveraineté. Le droit des États à l’autodéfense est également un principe fondateur de cet ordre mondial fondé sur des règles auquel nous adhérons, tout comme le droit de recevoir de l’aide dans ce cadre.

Comment le changement d’époque s’articule-t-il avec le multilatéralisme ?

Agir de manière multilatérale signifie certes dialoguer avec ses adversaires et tenter de résoudre les conflits au sein des institutions. Mais cela implique également de le faire en concertation avec ses propres alliés. Dans le cas de l’Allemagne, il s’agit en premier lieu de l’UE et de l’OTAN. Il aurait donc été bien plus unilatéral, par exemple, de s’opposer aux sanctions contre la Russie. J’aurais ainsi tendance à remettre en question l’apparente contradiction entre, d’une part, un soutien ferme à l’Ukraine et d’autre part, une mise en avant des valeurs du multilatéralisme et d’un ordre mondial fondé sur des règles.

En quoi le changement d’époque modifie-t-il le rôle de l’Allemagne en tant qu’acteur géopolitique?

Ce qui est nouveau, c’est que l’Allemagne envoie des armes, y compris des armes lourdes, dans ce type de zone en crise et que dans le même temps, elle renforce considérablement ses propres capacités militaires. En outre, ce changement d’époque a entraîné une réorientation du discours sur l’Ukraine et la Russie. En Allemagne, de 2014 au début de 2022, on a toujours parlé de la « guerre en Ukraine », une expression dans laquelle la Russie n’était pas citée. Dans les traités en faveur desquels l’Allemagne et la France se sont, elles aussi, engagées – les accords de Minsk et le format Normandie –, la Russie n’était même pas officiellement partie prenante et l’Ukraine a dû faire de nombreuses concessions. Aujourd’hui, il y a désormais consensus en Allemagne sur le fait que l’Ukraine doit être soutenue sur les plans économique et militaire et que le régime russe mène une guerre d’agression criminelle.

La Bundeswehr est et restera une armée parlementaire.

Existe-t-il une certaine continuité malgré ce changement d’époque ?

Oui, l’Allemagne n’est pas proactive dans le domaine militaire, elle reste plutôt réactive, ne serait-ce que pour des raisons structurelles : La Loi fondamentale est, en quelque sorte, un mécanisme destiné à empêcher les guerres d’agression. De plus, l’Allemagne applique le principe de l’autonomie ministérielle : tout ce qui est nécessaire à la conduite d’une guerre est réparti entre différents ministères. En outre, la Bundeswehr est et restera une armée parlementaire. Et l’Allemagne continuera d’agir de manière multilatérale, comme l’a récemment montré le débat sur les livraisons de chars. Le changement d’époque ne signifie donc aucunement une renaissance de l’Allemagne comme puissance wilhelmienne et unilatérale.

Le changement d’époque va-t-il s’inscrire dans la durée ?

Malgré les restrictions mentionnées, je suppose, étant donné que l’opinion fondamentale à l’égard de la Russie et de l’Ukraine a changé et que nous sommes déjà impliqués dans le conflit, que certains éléments clés du changement d’époque vont s’inscrire dans la durée.

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