Bienvenue sur les pages du Ministère fédéral des Affaires étrangères

Entretien du chancelier fédéral avec le quotidien Rhein‑Zeitung : « Nous devons faire preuve d’audace »

Le chancelier fédéral pendant son entretien avec le quotidien Rhein‑Zeitung 

Le chancelier fédéral pendant son entretien avec le quotidien Rhein‑Zeitung , © Gouvernement fédéral / Kugeler

04.05.2023 - Article

Où en sera l’Allemagne à l’horizon des années 2030 ? Dans un entretien accordé au quotidien allemand Rhein‑Zeitung, le chancelier fédéral Olaf Scholz regarde vers l’avenir et évoque ce que son gouvernement accomplit dans ce contexte, ici et maintenant.

Rhein‑Zeitung : Monsieur Scholz, dans un premier temps, l’on croit comprendre que l’utilisation des chauffages au gaz va être interdite, puis le SPD [Parti social‑démocrate d’Allemagne] assure vouloir débloquer des fonds de l’État pour la transition thermique et le FDP [Parti libéral démocrate] renchérit avec diverses demandes spéciales : telle est la vision simpliste que l’on a du débat autour du projet de loi sur l’énergie des bâtiments. Comprenez‑vous que les gens trouvent cela trop compliqué ?

M. Scholz : Notre pays fait face à des changements considérables, étant donné que nous voulons avoir une économie complètement neutre sur le plan climatique d’ici 2045. Cette décision a des implications sur de nombreux domaines de notre économie et de notre vie quotidienne. L’électricité et l’hydrogène joueront un rôle beaucoup plus important que ce n’est le cas actuellement. C’est la raison pour laquelle nous sommes en train de développer, avec beaucoup d’engagement, l’utilisation de l’énergie éolienne sur terre et sur mer ainsi que l’énergie solaire et les réseaux électriques. Le secteur privé va investir des milliards d’euros afin de moderniser les industries chimique, sidérurgique et automobile de façon à ce qu’elles deviennent climatiquement neutres. Des changements s’imposent également quant à la manière dont nous nous chauffons. Et cela nous concerne tous directement, que l’on soit propriétaire de sa maison ou que l’on soit locataire. En ce qui concerne ce point‑là, il nous faut passer à des chauffages modernes dans les vingt prochaines années. En tant que gouvernement fédéral, il nous importe d’avancer le plus prudemment possible et que personne ne se retrouve confronté à des problèmes insolubles. Nous avons pour cela mis en place une série de dispositions transitoires et de programmes de soutien pour que chacun et chacune arrive à gérer la situation.

Rhein‑Zeitung : Et pourtant, nombre de propriétaires ont retenu ceci : les politiciens à Berlin interviennent dans ce qui relève de ma propriété. Ils se demandent comment ils vont faire financièrement pour appliquer toutes ces mesures, de l’isolation du toit au renouvellement de leur système de chauffage, en passant par les fenêtres ; cela suscite des inquiétudes.

M. Scholz : Et c’est compréhensible. Vous avez donc bien fait de poser la question, et cela me donne l’occasion de préciser que tous ceux qui, par exemple, ont emménagé dans leur maison avant février 2002 n’auront pas à remplacer leur chauffage du jour au lendemain. Toutefois, nous devons tous prendre conscience d’une chose : les prix du pétrole, du gaz naturel et du charbon ont fortement augmenté suite à l’attaque russe contre l’Ukraine et ils continueront d’augmenter ces prochaines années. Il serait donc bien que nous œuvrions pour dépendre le moins possible des importations énergétiques. De plus, investir dans un chauffage moderne, surtout avec les aides que nous débloquons, est rentable à long terme.

Rhein‑Zeitung : Avec l’objectif de la neutralité climatique d’ici l’horizon 2045, l’Allemagne peut‑elle encore se permettre de renoncer à introduire une limitation de vitesse [sur les autoroutes] ?

M. Scholz : Il n’y a pas de majorité législative au Bundestag en faveur de la limitation de vitesse, pour des raisons que chacun et chacune dans ce pays connaît. Aussi ne m’attarderai‑je pas longtemps sur le sujet. Ce qui importe, c’est que le secteur des transports aussi apporte sa contribution pour que nous atteignions les objectifs climatiques. Par conséquent, nous venons de convenir d’avoir 15 millions de voitures électriques sur nos routes d’ici 2030 et de développer les transports publics ; nous économiserons ainsi beaucoup de CO2.

Rhein‑Zeitung : Pour en revenir à la transition énergétique : en Rhénanie‑Palatinat, nous vivons dans un Land faiblement peuplé doté de structures très rurales. Les installateurs de pompes à chaleur cherchent désespérément de la main‑d’œuvre qualifiée. Vous avez vous‑même dit lors d’un entretien que d’ici 2030, l’on allait avoir besoin dans toute l’Allemagne de quelque 6 millions de travailleurs et travailleuses qualifiés supplémentaires sur le marché du travail. Comment va‑t‑on y parvenir ?

M. Scholz : En ce qui concerne spécifiquement la transition énergétique, des experts ont calculé que près de 700 000 travailleurs manqueront ces prochaines années, qu’il s’agisse de main‑d’œuvre non qualifiée, d’ouvriers qualifiés ou d’ingénieurs ; cependant, nous parviendrons à combler ces lacunes. Il est juste que nous aurons besoin de 6 millions de travailleurs et travailleuses supplémentaires d’ici 2030 pour assurer notre succès économique. Ce n’est pas une tâche insurmontable, comme nous avons pu le constater au cours des précédentes années, mais cela ne sera pas chose aisée. À la différence de ce que l’on pronostiquait dans les années 1990, le nombre de travailleurs et travailleuses n’a pas diminué, bien au contraire, et il en va de même pour la population. Il n’y a jamais eu autant d’actifs qu’aujourd’hui dans notre pays. La libre circulation au sein de l’UE a grandement bénéficié à notre pays, puisque beaucoup de travailleurs et travailleuses sont venus chez nous, travaillent et paient des impôts en Allemagne. De plus en plus de femmes exercent également une activité rémunérée et le nombre d’actifs âgés a lui aussi augmenté. Notre engagement à cet égard ne faiblira pas : nous allons augmenter encore davantage le nombre de femmes actives et permettre aux personnes à la fin de la cinquantaine qui perdent leur travail de trouver un emploi équivalent. Grâce à la loi sur l’immigration de travailleurs qualifiés que nous avons mise en place, nous essayons d’attirer chez nous de la main‑d’œuvre qualifiée supplémentaire venue du monde entier.

Rhein‑Zeitung : Au vu de toutes les tâches immenses que l’Allemagne doit affronter, ne faudrait-il pas aller plus vite ? Vous-même avez forgé la notion de « nouveau rythme de l’Allemagne ».

M. Scholz : Nous avons montré ce qu’était ce rythme de l’Allemagne l’an dernier, lorsque nous avons construit en moins de 200 jours les terminaux méthaniers GNL sur les côtes d’Allemagne du Nord. Ce sera le modèle à suivre pour d’autres domaines. La protection du climat exige que, d’ici 2030, nous construisions chaque jour cinq à six éoliennes terrestres. Chaque jour, nous devons installer des panneaux solaires pour une surface équivalant à 43 terrains de football ; une à deux installations de production d’hydrogène par électrolyse de l’eau doivent entrer en service chaque semaine. Pour que tout ceci puisse réussir dans les temps, nous avons adopté une série de lois permettant d’accélérer les procédures. Nous sommes un pays d’excellence et nous avons été habitués pendant des décennies à ce que les choses soient faites très minutieusement et très lentement, à ce qu’il faille souvent plusieurs expertises avant de pouvoir autoriser l’implantation de la moindre éolienne ou de la moindre petite centrale hydraulique. Mais il nous faut à nouveau retrouver le rythme qui a été le nôtre en Allemagne de l’Ouest lors du redressement économique des années 1950 et 1960. Je le dis clairement : avec les règles législatives que nous avons aujourd’hui, cela n’ira pas. C’est pourquoi nous avons modifié de nombreuses règles, et nous en modifierons d’autres encore. Nous devons faire preuve d’audace.

Rhein‑Zeitung : Après la politique économique, venons-en à la politique étrangère, mais restons encore un moment à Coblence, pour évoquer le fonds spécial destiné à la Bundeswehr. Quand les troupes verront-elles arriver l’essentiel de ce fonds ? Et quel jugement portez-vous sur le travail du ministre fédéral de la Défense, Boris Pistorius, eu égard du service des achats de la Bundeswehr à Coblence ?

M. Scholz : Boris Pistorius est un très bon ministre. En ce qui concerne le fonds spécial, l’essentiel des décisions seront prises au cours de cette année. Malheureusement, cela ne se fait toutefois pas du jour au lendemain : les équipements militaires ne sont pas des biens prêts à l’emploi dont on prend livraison simplement chez le constructeur, comme on le fait pour l’achat d’une voiture. Pour certaines commandes de la Bundeswehr, de nouvelles usines ou lignes de production devront être créées. Ces dernières décennies, la production a été réduite de manière drastique. J’ai utilisé l’expression de tournant historique pour parler de la guerre d’agression russe contre l’Ukraine, car cette époque de faibles dépenses pour la défense est désormais révolue. Nous avons à nouveau besoin d’une production d’armements continue, pour nous et pour nos alliés. Pour les armes et munitions principales, il nous faut des lignes de production garanties par des contrats, afin de pouvoir passer rapidement à une cadence de production plus élevée si nécessaire. Il serait également judicieux que la Bundeswehr réduise autant que possible la liste de ses souhaits particuliers lors de ses commandes, afin que les autres pays puissent s’associer plus facilement à nos acquisitions. Cela présenterait également des avantages en termes de coûts.

Rhein‑Zeitung : Les voix qui réclament sans cesse plus d’armes pour l’Ukraine se font un peu moins entendre. Cela vous réjouit-il ?

M. Scholz : L’Allemagne fait partie, après les États-Unis, des pays qui soutiennent le plus l’Ukraine, sur le plan humanitaire, financier, mais aussi avec des armes. Deux choses ont pourtant été toujours essentielles à mes yeux. Premièrement, dans une situation aussi grave que celle-là, il faut agir suivant sa propre conviction et ne pas regarder tout le temps tout ce qui est publié. Deuxièmement, je suis convaincu que la majorité des citoyennes et des citoyens soutient l’attitude réfléchie adoptée par le gouvernement fédéral sous ma direction.

Rhein‑Zeitung : Regardez-vous avec inquiétude la campagne électorale aux États-Unis, notamment dans la perspective du soutien à l’Ukraine ?

M. Scholz : Vladimir Poutine s’est lourdement trompé dans ses calculs avec sa guerre. Il voulait diviser l’OTAN et affaiblir le partenariat transatlantique. C’est le contraire qui s’est produit. Les liens entre les États-Unis et l’Europe, particulièrement entre les États-Unis et l’Allemagne, n’avaient plus été aussi étroits depuis bien longtemps. Et l’OTAN peut se féliciter de voir sa valeur à nouveau reconnue. La Finlande est devenue depuis peu un nouveau membre de l’OTAN et la Suède est sur le point d’y adhérer : tout cela témoigne de notre cohésion. Lors des entretiens que j’ai eus avec des représentants des deux partis du Congrès américain, tant à la Chambre des représentants qu’au Sénat, le soutien exprimé en faveur de l’Ukraine était très appuyé. J’ai confiance dans le fait que cela ne changera pas.

Rhein‑Zeitung : Votre coalition s’est présentée comme une coalition de progrès, mais elle est plutôt perçue par beaucoup comme un lieu de querelle permanente. Cette vision des choses vous irrite-t-elle ?

M. Scholz : Sur une courte période, mon gouvernement a obtenu beaucoup plus de résultats pour la protection du climat que beaucoup d’autres gouvernements avant lui. Dans les années précédentes, des objectifs quelquefois ambitieux ont certes été décidés, mais ils l’étaient pour un futur lointain et nécessitaient peu d’actions concrètes. Nous avons mis fin à cette inaction et nous allons continuer de faire avancer des décisions importantes. Lorsque l’on va de l’avant de cette manière, il y a plus de questions auxquelles il faut répondre que lorsque l’on se limite à de grandes déclarations en faveur de tel ou tel objectif et que l’on reste les mains dans les poches. C’est pourquoi l’on a parfois l’impression que les choses calent, parce que nous devons discuter entre nous de questions importantes. Mais nous arrivons alors à des réponses communes, et c’est une bonne chose. Je ne dois cependant pas vous cacher que j’aimerais moi aussi que les choses calent parfois un peu moins. Mais je défends l’avis que nous faisons avancer notre pays en tant que gouvernement.

Rhein‑Zeitung : Le ministre fédéral de l’Économie Robert Habeck (Les Verts) a annoncé l’adoption d’une stratégie pour un prix de l’électricité plus favorable pour l’industrie ; votre parti, le SPD, insiste pour que l’on accélère. C’est certainement utile sur le plan économique, mais n’y a-t-il pas là la menace du prochain couac dans la coalition ?

M. Scholz : Nous devons discuter concrètement d’un prix avantageux de l’électricité dans le contexte de l’économie. Nous sommes d’accord sur le fait qu’il nous faille des prix de l’électricité abordables tant pour l’industrie que pour les consommatrices et consommateurs, et ce, sans qu’ils soient durablement subventionnés. C’est pour cela que le développement des énergies renouvelables est si important : parce qu’elles sont le moyen le plus économique de produire de l’électricité.

Rhein‑Zeitung : À propos de coûts : nous avons avec Christian Lindner (FDP) un ministre des Finances qui tient très serrés les cordons de la bourse. Comment vous en sortez-vous avec cela ?

M. Scholz : Ces dernières années, durant la pandémie de coronavirus et en réaction à l’attaque de la Russie contre l’Ukraine, nous avons dépensé beaucoup d’argent en tant qu’État pour faire face aux crises, protéger la santé, garantir les emplois et maintenir la cohésion de la société. Il était clair pour nous tous que nous devrions revenir à une trajectoire financière normale lorsque cette période prendrait fin ; c’est ce qui est prescrit par notre Constitution. Le prochain budget sera donc un atterrissage difficile, mais un atterrissage sûr. Et les choses reprendront ensuite un cours normal.

Rhein‑Zeitung : Qu’entendez-vous exactement par « atterrissage difficile » ?

M. Scholz : Le budget fédéral s’élève en temps normal à environ 450 milliards d’euros par an. Dans la lutte contre les deux crises que j’ai évoquées, ces dernières années, nous avons contracté des dettes supplémentaires à concurrence de centaines de milliards d’euros. C’était une décision juste, mais après trois ans, nous devons maintenant revenir à une trajectoire financière normale. Nous avons dans le même temps pris des décisions importantes pour garantir la cohésion de la société, des décisions auxquelles nous tenons : nous avons décidé une grande réforme du revenu citoyen, nous avons réformé l’allocation de logement, de sorte que ceux et celles qui gagnent moins ou qui ont une pension de retraite peu élevée puissent mieux s’en sortir. Nous avons relevé les allocations familiales, ce qui aide de nombreuses familles, et nous avons également augmenté la majoration pour enfants à charge. De plus, nous allons aussi augmenter notre budget militaire afin d’atteindre l’objectif des deux pour cent de l’OTAN. Les marges de manœuvre sont donc très étroites.

Rhein‑Zeitung : Une dernière question : nous sommes ici sur le site industriel historique splendide de la Sayner Hütte. Les temps ont changé et, aussi beau soit‑il, ce site est un lieu du passé. Le changement a toujours existé, mais dans une période comme celle que nous traversons, le changement inquiète aussi bien les entrepreneurs que les travailleurs. Certains parlent d’une désindustrialisation de l’Allemagne. Où voyez-vous toutefois des chances pour l’industrie ?

M. Scholz : L’Allemagne est un pays industriel. En comparaison avec d’autres pays européens, l’industrie représente ici une part importante de notre réussite économique. Ce sera le cas dans le futur également, même si l’industrie évolue. Nous voyons précisément en ce moment des investissements massifs dans l’économie allemande, dans la fabrication de batteries ou dans le développement de la production de semi-conducteurs, sur de nombreux sites. Un constructeur américain de voitures électriques a récemment ouvert une nouvelle usine en Allemagne, donc dans un pays où le niveau salarial est élevé. Tout cela est tout de même le signe que ce changement industriel profite à notre pays. Lorsque je parle avec des membres de conseils d’entreprises et des représentants des travailleuses et travailleurs des aciéries, des industries de la chimie ou du ciment, de l’automobile ou du génie mécanique, tous me disent qu’ils veulent que l’Allemagne, qui est la quatrième économie mondiale, reste à la pointe sur le plan technologique dans le futur aussi et qu’ils veulent être aussi à la pointe avec leurs entreprises. Le changement est là, il a lieu, mais d’une manière telle que nous aurons de bons emplois dans 10, 20 ou 30 ans. La protection du climat apportera un nouvel élan à notre économie.

© Gouvernement fédéral

Retour en haut de page