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Deux expositions s’ouvrent en Allemagne sur l’hyperinflation de 1923

[g.] Affiche de l’exposition „Inflation, 1923. Guerre, argent, traumatisme“, à voir au Musée historique de Francfort/M. jusqu’au 10 septembre. ; [dr.] Charriot servant à transporter les billets de banque en Allemagne, en 1923

[g.] Affiche de l’exposition « Inflation, 1923. Guerre, argent, traumatisme », à voir au Musée historique de Francfort/M. jusqu’au 10 septembre. ; [dr.] Charriot servant à transporter les billets de banque en Allemagne, en 1923, © Musée historique de Francfort / © Musée historique de Francfort. Photo : Horst Ziegenfusz

04.05.2023 - Article

Que se passe-t-il quand les prix montent et qu’une monnaie se déprécie ? Un sujet actuel. En Allemagne, il ravive un souvenir historique traumatisant : celui de l’hyperinflation de 1923. À 100 ans de distance, deux expositions à Francfort et Hambourg apportent leur éclairage.

C’était il y a un siècle. Les paniers remplis de billets. Les salaires qu’il faut dépenser dans l’heure pour n’importe quel achat pour ne pas les voir s’évaporer. La rétention de marchandises. Les pénuries alimentaires. Le chômage, la panique, l’agitation sociale… L’année 1923 est restée gravée dans la mémoire collective allemande comme celle de l’hyperinflation. Une catastrophe consécutive à la Première Guerre mondiale. Et qui a laissé un traumatisme repérable jusqu’à aujourd’hui. Le Musée historique de Francfort lui consacre pour la première fois une exposition. De son côté, la Hamburger Kunsthalle présente les  »visages d’une époque«  à travers l’art. Les deux expositions viennent de débuter.

À Francfort, elle s’intitule  »Inflation, 1923. Guerre, argent, traumatisme«  (à visiter jusqu’au 10 septembre). La ville des bords du Main était  »quasi prédestinée«  pour accueillir une telle exposition, note l’historien Jan Gerchow, directeur du Musée historique. Elle est la première place financière allemande depuis le 13e siècle. Et depuis 1998, elle abrite le siège de la Banque centrale européenne (BCE).

Comment naît l’inflation

L’exposition est didactique. Elle explique la fonction de la monnaie dans une économie, et comment l’inflation naît et prospère. Elle a aussi la curiosité d’aller explorer l’histoire des crises inflationnistes depuis l’Antiquité, de la Chine à l’Empire romain. Mais surtout, elle montre comment le phénomène s’est développé en Allemagne dans le sillage de la Première Guerre mondiale, quelles ont été ses conséquences et quelle influence ce traumatisme conserve jusqu’à aujourd’hui.

Fait intéressant à un siècle de distance, elle montre que c’est toujours la guerre qui est à l’origine des grandes poussées inflationnistes. Ce qui a fait sombrer le Reichsmark : la Grande guerre financée par l’emprunt après l’abandon de l’étalon-or, puis la défaite, les Réparations imposées à l’Allemagne, l’instabilité politique et finalement l’occupation de la Ruhr à partir de janvier 1923. À la fin de la guerre, en 1919, la monnaie allemande avait déjà perdu 95 % de sa valeur d’avant-guerre.

Une tragédie en plusieurs actes

Empire allemand, Billet de banque de la Reichbank d’une valeur faciale de 10 000 milliards de marks. 1er novembre 1923
Empire allemand, Billet de banque de la Reichbank d’une valeur faciale de 10 000 milliards de marks. 1er novembre 1923© Musée historique de Francfort

De 1919 à 1922, il y eut trois phases de dépréciation monétaire, entrecoupées d’un retour à une stabilité relative. Liées à la question des Réparations, elles ont entraîné émeutes et pillages, à Francfort et dans d’autres villes. En juin 1922, l’assassinat du ministre des Affaires étrangères, Walther Rathenau, a fait sortir le lait de la casserole. En six mois, le cours du dollar est passé de 320 à 7300 Reichsmark.

Le drame a atteint un nouveau stade avec l’occupation de la Ruhr par les troupes françaises et belges, à partir de janvier 1923. Les vainqueurs de la guerre voulaient le paiement effectif des Réparations de guerre, quitte à les obtenir en nature. Les Allemands ont entamé une résistance passive. En quelques mois, au cours du printemps et de l’été 1923, l’inflation galopante s’est muée en hyperinflation.

L’inconnu a alors pris une autre dimension. La confiance, sur laquelle toute monnaie repose, avait disparu. Il fallait des paniers à linge et des charriots remplis de billets pour que le commerce puisse tourner. On imprimera des billets de 20 000 milliards, 50 000 milliards et jusqu’à 100 000 milliards de marks.

Folle spirale

Durant l’été 1923, la ville de Francfort et ses entreprises furent autorisées à imprimer leur propre monnaie. Des commerçants refusèrent les paiements en marks. Les salaires ne parvenaient pas à suivre la folle spirale. On assista à des émeutes et à des grèves pendant que la famine et la misère se répandaient. Les témoignages de contemporains et d’écrivains, les photos et les journaux donnent une idée de l’ampleur du désespoir qui s’est emparé de la population.

L’exposition plonge ses visiteurs dans cette atmosphère. On y découvre des affiches publicitaires pour les emprunts de guerre, des caricatures de l’époque contre les opposants à la guerre, accusés d’être à l’origine de l’inflation, des livrets bancaires, des photos et des vidéos d’époque. Mais l’exposition ne s’arrête pas là. Elle montre comment le choc traumatique de 1923 a continué d’influencer la politique et la société allemande sur le long terme. On en trouve notamment trace dans la manière dont les Allemands ont accueilli la réforme monétaire de 1948, et mené les débats sur la Réunification allemande, puis la création de l’euro.

Karl Hofer (1878–1955), Freundinnen, 1923/24, Huile sur toile, Hamburger Kunsthalle
Karl Hofer (1878–1955), »Freundinnen„, 1923/24, Huile sur toile, Hamburger Kunsthalle© Hamburger Kunsthalle / bpk / VG Bild-Kunst, Bonn 2022. Photo : Elke Walford

Pour obtenir un tableau complet de cette époque, il vaut également la peine d’aller à Hambourg. Le musée de la Hamburger Kunsthalle présente du 28 avril au 24 septembre une exposition intitulée « 1923 : Gesichter einer Zeit  ». Elle réunit une soixantaine de toiles, sculptures et dessins sur papier réalisés en 1923 par de grandes signatures : Otto Dix, George Grosz, Robert Desnos, Wassily Kandinsky, Ernst Ludwig Kirchner, Käthe Kollwitz, Karl Hofer, etc. Il y est question de cette année cruciale, qui vit non seulement l’apogée de la crise inflationniste, la misère et le putsch de la brasserie à Munich, mais également des événements positifs : une incroyable effervescence culturelle, l’essor du sport, la création de nouveaux mouvements artistiques.

Car malgré tout, la catastrophe a eu une fin. En novembre 1923, le gouvernement du libéral Gustav Stresemann a pris le taureau par les cornes et mis en œuvre des mesures fortes de stabilisation. Le salut est passé par la création d’une monnaie de transition, le « Rentenmark ». Il fut échangé au cours de un Rentenmark pour 10 000 milliards de marks. La stabilisation de la monnaie entraîna celle de l’économie, tandis que les finances publiques étaient assainies.
A.L.

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