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Il y a 100 ans, l’assassinat de Walther Rathenau

L’industriel, intellectuel et homme politique allemand, Walther Rathenau (1867-1922)

L’industriel, intellectuel et homme politique allemand, Walther Rathenau (1867-1922), © picture-alliance / dpa | dpa

21.06.2022 - Article

Le 24 juin 1922, l’industriel, essayiste et charismatique ministre des Affaires étrangères, Walther Rathenau, était assassiné à Berlin par l’extrême droite. Ce drame suscita l’indignation dans la jeune République de Weimar. Son écho résonne jusqu’à nos jours.

Samedi 24 juin 1922, le ministre des Affaires étrangères allemand Walther Rathenau sort de sa villa, dans le quartier de Berlin-Grunewald. On le conduit au ministère. Il roule en voiture décapotable, sans gardes du corps. Soudain, à 10h45, une Mercedes se porte à sa hauteur. Son occupant tire neuf coups de feu à l’arme automatique. Le ministre meurt dans les minutes qui suivent. Les assassins sont des membres du groupement d’extrême droite Organisation Consul, qui voient en lui un traître à la patrie. Le drame provoque chagrin et indignation. Il résonne aussi comme un avertissement qui va faire réagir les autorités de Weimar.

Rosa Luxembourg, Karl Liebknecht, l’ancien ministre des Finances Matthias Erzberger, le ministre-président de Bavière Kurt Eisner : en juin 1922, la jeune République de Weimar a déjà connu 400 assassinats politiques en trois ans et demi. L’ancien ministre-président Philipp Scheidemann vient d’échapper à un attentat. Les opposants radicaux à la République tentent de déstabiliser un régime qu’ils honnissent, et qui est déjà fragilisé par les conditions du traité de Versailles.

Mais l’assassinat de Walther Rathenau, industriel, intellectuel et homme d’État charismatique, va retentir avec une violence particulière. Cela tient à sa personnalité. « En Rathenau, la République perdait encore une personnalité de premier plan qui occupait grâce à la combinaison de dons inhabituels un rang singulier », écrit l’historien Horst Möller (« La République de Weimar »).

Industriel éclairé

Né en 1867, Walther Rathenau est le fils d’Emil Rathenau, fondateur de la plus grande entreprise électrique allemande, AEG (Allgemeine Electricitäts-Gesellschaft). Il débute comme ingénieur, puis prend les rênes de la société en tant que président du conseil de surveillance. C’est un homme d’une grande culture et un industriel animé d’une grande conscience de ses responsabilités sociales.

Il mène en parallèle une carrière d’essayiste. Il élabore des réquisitoires complexes contre la civilisation mécanique. D’origine juive, il promeut aussi l’assimilation, dont il est la parfaite incarnation.

« Il faisait partie des personnalités peu nombreuses en qui s’alliaient esprit et politique, éthique et économie, capacités d’organisation et contemplation », loue Horst Möller. Des témoignages révèlent la fascination que sa conversation, encore plus éloquente que ses écrits, a exercée sur son large cercle de relations. Mais il a aussi inspiré à l’écrivain Robert Musil le personnage du financier Paul Arnheim dans le roman « L’homme sans qualité », qui décrit sur un mode satirique ce « prince de l’esprit ».

À partir de 1914, Walther Rathenau dirige le département des matières premières au ministère prussien de la Guerre. Il devient l’un des principaux organisateurs de l’économie de guerre. Il introduit certains principes de planification qui permettent d’éviter un effondrement de l’approvisionnement.

Un espoir de la jeune République de Weimar

Après la guerre, il entre en politique. Patriote et libéral, membre du DDP, il devient ministre de la Reconstruction puis, en février 1922, ministre des Affaires étrangères. Il entame une politique de négociation et de conciliation avec les alliés occidentaux. En avril 1922, bien que d’abord hostile au rapprochement avec l’Union soviétique, il signe avec Moscou le traité de Rapallo qui va dans ce sens.

Juif, diffamé comme « exécuteur » (du traité de Versailles), il est une cible pour la vindicte meurtrière de l’extrême droite. Il incarne symétriquement un espoir de stabilisation, de paix et d’avenir pour le jeune régime de Weimar que les radicaux rêvent de faire tomber.

Le 24 juin 1922, la nouvelle de son assassinat se répand comme une traînée de poudre. Le chancelier Joseph Wirth informe le Reichstag une demi-heure plus tard. Les députés s’indignent.

Le chagrin et la colère se propagent dans tout le pays. Le 27 juin, un million de personnes suivent le cortège funèbre, et des manifestations de protestation ont lieu dans toute l’Allemagne. La République est ébranlée. Mais elle ne s’effondre pas, au contraire. Elle fait bloc. Walther Rathenau en devient le martyr.

La République fait bloc

Cérémonie d’hommage au Reichstag après l’assassinat du ministre des Affaires étrangères, Walther Rathenau, le 24 juin 1922
Cérémonie d’hommage au Reichstag après l’assassinat du ministre des Affaires étrangères, Walther Rathenau, le 24 juin 1922© picture alliance / akg-images | akg-images

Le jour de l’assassinat, le président du Reichstag, Paul Löbe, affirme : « Ce qui est en jeu, c’est le pays, le peuple et la République allemands ». Et le chancelier Wirth interpelle les « chers Messieurs de la droite » : « Les choses ne peuvent pas continuer comme elles l’ont fait jusqu’à présent ».

Dès le lendemain, le gouvernement prend deux ordonnances sur la protection de la République. Devant le Reichstag, le chancelier accuse la campagne de dénigrement menée par la presse nationaliste d’être responsable de l’assassinat. Il conclut par ces mots restés célèbres : « C’est là qu’est l’ennemi. Et, il n’y a aucun doute, cet ennemi est à droite ». Il appelle le parti national allemand à intervenir pour mettre un terme au climat de meurtre qui empoisonne l’atmosphère de la jeune République.

Le 17 juillet, deux des trois meurtriers sont arrêtés. L’un est tué dans sa fuite avant d’être interpellé. Un deuxième se suicide. Le conducteur, Ernst-Werner Techow est condamné à 15 ans de prison. Plus tard, Ernst von Salomon, membre influent de l’Organisation Consul, sera condamné à cinq ans de prison pour complicité de meurtre.

En écho

Le 21 juillet 1922, une loi de protection de la République se substitue aux ordonnances. Elle sera prorogée cinq ans plus tard, le 23 juillet 1927. En 1930, le gouvernement se verra même contraint d’adopter une seconde loi de protection de la République : cette protection contre les extrémistes de droite et de gauche était devenue une tâche permanente.

À un siècle de distance, les circonstances ont changé et la République est solide. Mais l’avertissement semble toutefois faire écho à notre époque. De la Fraction armée rouge dans les années 1970 aux meurtres racistes de la NSU dans les années 2000 jusqu’à l’assassinat de l’homme politique Walter Lübke en 2019, une question semble se poser inlassablement : jusqu’à quel point la République est-elle capable de résister ?

A.L.

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