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Exposition : plongée dans la Ruhr occupée de 1923

Affiche de l’exposition

Affiche de l’exposition, © Ruhr Museum, création graphique: Uwe Loesch

16.01.2023 - Article

Hyperinflation, famine, détresse, instabilité : les Allemands ont conservé un souvenir sombre de l’année 1923. Spécialement les habitants de la Ruhr, qui furent en outre occupés par les troupes françaises et belges à partir de janvier 1923. À Essen, une exposition remonte le temps.

L’année 1923 reste gravée au fer rouge dans la conscience collective allemande. Elle fut celle de l’hyperinflation avec ses brouettes de billets, du chômage, de la faim, et finalement, à l’automne, du putsch de la brasserie à Munich, fomenté par un certain Adolf Hitler. Mais aux prémices de cette funeste spirale se produisit un événement dont les tragédies ultérieures du siècle ont oblitéré la mémoire : l’occupation de la Ruhr par les troupes françaises et belges de 1923 à 1925. Dans le « Revier  », le bassin minier, cette mémoire ne s’est toutefois pas effacée. Les habitants en ont gardé un souvenir douloureux, mais également un attachement à leur identité. À l’occasion du centenaire de ces événements, le musée de la Ruhr propose une plongée dans le quotidien de cette période décisive dans l’histoire de la République de Weimar.

L’exposition s’intitule « Hände weg vom Ruhrgebiet ! Die Ruhrbesetzung 1923-1925  »
La cavalerie française à Buer, en 1923
La cavalerie française à Buer, en 1923© Archives photographiques du Musée de la Ruhr

(litt. : Ne touchez pas à la Ruhr ! L’occupation de la Ruhr 1923-1925). Elle est présentée au musée de la Ruhr, sur le site de l’ancienne mine du Zollverein, à Essen, jusqu’au 27 août. Elle aborde les événements du point de vue de ceux qui les ont vécus : les habitants de la Ruhr, mais également les soldats français et belges. Plus de 200 pièces sont à découvrir parmi lesquelles des extraits vidéos rares, des photos, des documents personnels, des cartes postales envoyées par les soldats à leurs familles, une mitrailleuse, des uniformes, un vélo des brigades cyclistes, des affiches, des tracts de propagande, etc. Près de 70 pièces sont des prêts provenant de musées français et belges.

Réparations

L’occupation de la Ruhr, explique le parcours, a constitué une sorte d’« épilogue » de la Première Guerre mondiale (1914-1918). Quatre ans après l’Armistice, l’Allemagne accusait un retard dans le paiement des Réparations imposées par le traité de Versailles (1919). La France et la Belgique, après plusieurs rappels à l’ordre, ont décidé d’occuper la Ruhr, principale région charbonnière du pays. Leur objectif était d’obtenir leur dû en nature. Entre le 11 et le 16 janvier 1923, quelque 60 000 soldats français et belges sont entrés dans la ville d’Essen, puis dans le reste du bassin minier, armés de chars, de régiments d’infanterie, de divisions de cavalerie, de vélos et de mitrailleuses. « C’était assez effrayant et martial », rapporte Heinrich Theodor Grütter, directeur du musée.

C’était aussi le début d’une période difficile et essentielle pour l’histoire de la Ruhr et de l’Allemagne. Les troupes françaises et belges arrivaient dans une région éprouvée et divisée par une décennie de privations et de violences. Leur présence transforma le quotidien des habitants de manière drastique. Elle installa un état d’exception permanent aux limites de ce que la région pouvait économiquement et socialement supporter.

Résistance passive

Manifestation de demandeurs d’emploi en 1923 à Essen, dans la Ruhr
Manifestation de demandeurs d’emploi en 1923 à Essen, dans la Ruhr© Maison de l’histoire de Essen / Archives municipales [Slg. 661 Nr. 358/2]

Dès leur arrivée, en effet, le gouvernement à Berlin et les industriels de la Ruhr appelèrent à une résistance passive sans concession. Le gouvernement suspendit sans délai tout paiement des Réparations de guerre, et appela la population à ne coopérer à aucun prix avec les occupants. Une propagande active se mit en place des deux côtés. De la part des occupants pour convaincre les habitants du bien-fondé de leurs prérogatives au regard du droit. Du côté des autorités allemandes pour appeler à la non-coopération et à la résistance passive face à ce qu’elles considéraient comme le retour des aspirations impérialistes de la Grande nation.

Face à cette résistance passive, les occupants mirent rapidement en œuvre des contre-mesures : couvre-feux, arrestations, contrôles inopinés sur la voie publique, expulsions vers la zone non-occupée. Des affrontements sanglants ne tardèrent pas à se produire entre les occupants et la population. Cette spirale de violence allait faire 130 victimes jusqu’au départ des troupes françaises et belges, à l’été 1925.

Rail

L’exposition consacre un chapitre au secteur des transports. Il constituait un enjeu crucial pour les occupants, car leur objectif était d’acheminer la production de charbon et de coke de la Ruhr vers la France et la Belgique. La non-coopération de la population rhénane les plaçaient donc devant un redoutable défi. Ils durent organiser eux-mêmes le transport des marchandises par le rail. Or, au vu de la complexité du système ferroviaire, cela eut pour conséquences de nombreux accidents et dysfonctionnements. Confrontés à une population hostile, ils vivaient, en outre, dans la peur permanente des attentats, et peinaient à trouver de quoi s’héberger et se nourrir convenablement, révèle l’exposition.

L’hyperinflation

Sur le plan économique, la résistance passive fut financée par les industriels et par le gouvernement allemand. Elle eut des conséquences catastrophiques sur une monnaie déjà très fragilisée par la guerre et par les Réparations. Le Reichsmark, fortement déprécié par le financement inflationniste de la Première Guerre mondiale et en net décrochage depuis l’automne 1922, ne résista pas. Au cours du printemps et de l’été 1923, l’inflation galopante se mua en hyperinflation.

Nombreux sont les écrivains et les historiens allemands à avoir décrit cette période, inscrite comme un traumatisme dans la conscience collective allemande. « Les prix étaient révisés plusieurs fois dans la journée », rapporte l’historien Peter Longerich dans son dernier ouvrage « Außer Kontrolle. Deuschland 1923  » (Molden 2022). « Les salaires étaient retirés des banques par paniers entiers. Ils devaient être immédiatement dépensés pour n’importe quel achat afin d’échapper à la montée rapide des prix. Les échanges furent ébranlés. Le chômage augmenta. Les commerçants pratiquèrent la rétention de marchandises. Il y eut des pénuries de denrées alimentaires, accompagnées de désordres et de tumultes liés à la panique, car une famine catastrophique se dessinait à l’horizon.La détresse matérielle, et l’agitation sociale qu’elle engendrait, commencèrent à menacer la cohésion sociale. »

Il fallut attendre l’automne 1923 pour qu’une réforme monétaire arrête l’hémorragie en instituant une nouvelle monnaie et en dessinant les contours d’une stabilisation.

Solidarité et sentiment régional

Il reste que si le traumatisme de l’hyperinflation fut national, le souvenir de l’occupation reste surtout vivace au niveau régional. Les atrocités du nazisme et de la Seconde Guerre mondiale ont recouvert la mémoire de l’événement pour la majorité des Allemands. Mais celle-ci s’est perpétuée dans le bassin de la Ruhr, montre l’exposition. Entre autres parce que cette occupation a eu une vertu : celle d’engendrer un puissant sentiment de solidarité entre les habitants, avec pour corollaire la constitution d’une forte identité régionale. L’occupation des troupes françaises et belges avait mis pour la première fois en lumière le caractère stratégique du bassin de la Ruhr, à l’échelle nationale comme internationale.

A.L.

Hände weg vom Ruhrgebiet ! Die Ruhrbesetzung 1923-1925

(Ne touchez pas à la Ruhr ! L’occupation de la Ruhr 1923-1925)

Exposition au musée de la Ruhr, sur le site de l’ancienne mine du Zollverein à Essen du 10 janvier au 27 août 2023

En savoir plus (en allemand/ anglais)

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