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« Il est temps d’octroyer plus de place au vote à la majorité dans les décisions de politique étrangère de l’UE »

14.06.2023 - Article

Tribune conjointe de la ministre fédérale des Affaires étrangères Annalena Baerbock et de ses homologues de Belgique, du Luxembourg, des Pays-Bas, de Roumanie, de Slovénie et d’Espagne (traduction en français).

Dans le contexte de la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine, l’Union européenne a su faire preuve de sa capacité d’action : en se plaçant aux côtés de l’Ukraine sur le plan diplomatique, financier et militaire, en mettant fin à sa dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie et en offrant à l’Ukraine, comme à la République de Moldova, une perspective claire d’adhésion à l’UE.

Pour l’avenir, une chose est sûre : cette capacité à agir rapidement et de manière résolue sera déterminante pour le rôle joué par l’UE en tant qu’acteur de la politique étrangère disposé et prêt à s’engager en faveur des valeurs et des intérêts de ses citoyens dans un monde de plus en plus incertain.

Nous avons besoin d’une UE qui dégage des résultats solides et tangibles. Les récents événements nous ont montré que nous devions également renforcer notre capacité d’action en période de crise. Cela n’a jamais été si vrai qu’aujourd’hui. Dans une Union qui s’élargit, le succès de l’intégration européenne repose sur l’efficacité de ses institutions.

Par le passé, il n’a pourtant pas toujours été donné à l’UE d’agir rapidement et résolument. La plupart des décisions de politique étrangère de l’UE doivent être prises à l’unanimité, ce qui est parfois susceptible de retarder notre capacité à agir. C’est malgré ces règles et non à cause d’elles que nous nous sommes mis d’accord sur dix trains de sanctions contre la Russie en réponse à la guerre d’agression qu’elle mène contre un État souverain.

Nous prônons donc une application renforcée du vote à la majorité qualifiée dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), une possibilité que prévoit déjà le Traité sur l’Union européenne (TUE).

Nous souhaitons dépasser les vieux clivages entre ceux qui sont favorables aux décisions prises à la majorité et ceux qui s’y opposent. Nous ne préconisons pas une modification des traités et n’envisageons pas non plus des débats théoriques interminables. Tandis que les débats au sujet d’une PESC plus efficace s’inscrivent dans une discussion plus large sur le vote à la majorité qualifiée dans d’autres domaines de la politique, nous proposons à l’heure actuelle une approche pragmatique : une approche qui se concentre uniquement sur des questions relatives à la politique étrangère et de sécurité de l’UE et qui emploie de manière plus flexible des dispositions existant d’ores et déjà dans le TUE. Car cela peut convenir à chacun.

Premièrement, nous suggérons de renforcer l’usage de « l’abstention constructive » définie au paragraphe 1 de l’article 31 du TUE. Les États membres ont d’ores et déjà commencé à employer cet outil simple mais particulièrement efficace, qui permet l’adoption d’une décision en évitant de s’y opposer, laissant la possibilité aux 26 autres États membres de poursuivre sur leur voie.

Nous avons été témoins en octobre dernier du pouvoir de « l’abstention constructive » lorsque le Conseil des affaires étrangères a procédé à un vote sur la nouvelle mission de formation de l’UE pour l’armée ukrainienne. Nous souhaitons développer cette tendance naissante et nous nous engageons à réaliser une évaluation systématique de nos propres positions pour déterminer s’il est possible de « s’abstenir constructivement » au lieu de voter contre.

Deuxièmement, nous proposons de tester le vote à la majorité qualifiée sur le terrain. Des décisions prises à la majorité qualifiée peuvent déjà être adoptées dans certains domaines de la politique étrangère de l’UE, conformément au paragraphe 2 de l’article 31 du TUE. Si le Conseil décide par exemple à l’unanimité de l’établissement d’une mission civile de l’UE, sa mise en œuvre opérationnelle pourrait ensuite être décidée par des votes à la majorité qualifiée. De manière similaire, nous pourrions procéder à des votes à la majorité qualifiée lorsqu’il est question de prendre des décisions fondées sur des positions communes de l’UE dans le cadre de forums internationaux relatifs à la protection des droits humains.

Nous suggérons par ailleurs d’adapter nos mécanismes de prise de décision dans les secteurs pour lesquels il n’est pas nécessaire de recourir à un vote formel mais où les décisions sont toutefois adoptées en pratique par consensus. Si le haut représentant fait par exemple une déclaration publique au nom de l’UE, le texte pourrait être entériné par une décision du Conseil prise à la majorité qualifiée selon le paragraphe 2 de l’article 31 du TUE. Cela permettrait d’accélérer notre mode de communication et d’accorder une plus grande importance à notre voix européenne.

Troisièmement, nous cherchons à bâtir des passerelles. La clause passerelle définie au paragraphe 3 de l’article 31 du TUE permet déjà au Conseil de déterminer, à l’unanimité, que certains domaines spécifiques de la politique étrangère de l’UE sont systématiquement régis par le vote à la majorité qualifiée. Nous proposons d’étudier l’usage de cette « passerelle » dans des secteurs bien définis de la PESC.

Nous sommes conscients que certains partenaires au sein de l’UE sont préoccupés par l’idée d’un recours au vote à la majorité qualifiée dans le cadre de la politique étrangère de l’UE et nous prenons ces préoccupations au sérieux.

Pour nous, la recherche d’un consensus est et reste au cœur de notre ADN européen, car cela constitue un atout de voir le monde sous différents angles et d’être ouvert à des compromis constructifs. Nous ferons donc tout notre possible pour répondre à l’ensemble des craintes des États membres de l’UE, afin de prendre les meilleures décisions possibles au nom de nos intérêts communs. Nous nous efforcerons de renforcer encore notre coopération dans un esprit de confiance mutuelle au sein de l’UE.

Bien entendu, les États membres peuvent tirer le signal d’alarme et invoquer la clause définie au paragraphe 2 de l’article 31 du TUE pour des raisons de politique nationale vitales et qu’ils exposent. Outre ce signal d’alarme qui existe déjà, nous travaillerons à un mécanisme de « filet de sécurité ». Cela permettra d’assurer que les intérêts nationaux vitaux continuent d’être respectés dans des secteurs de la PESC où s’applique le vote à la majorité suite à la mise en place de passerelles. Nous demanderons par ailleurs conseil à des experts indépendants afin d’explorer les possibilités sur ce sujet comme sur d’autres thèmes.

En cette période difficile, nous défendons une UE capable d’agir, efficace et résolue, qui protège la liberté, la sécurité et la prospérité de ses citoyens. L’UE a toujours réussi à aller de l’avant dans les moments difficiles. Il est aujourd’hui de nouveau temps de passer à l’action.

Signataires

Mme Hadja Lahbib, ministre des Affaires étrangères, des Affaires européennes et du Commerce extérieur, et des Institutions culturelles fédérales de Belgique

Mme Annalena Baerbock, ministre fédérale des Affaires étrangères d’Allemagne

M. Jean Asselborn, ministre des Affaires étrangères et européennes du Luxembourg

M. Wopke Hoekstra, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères des Pays-Bas

M. Bogdan Aurescu, ministre des Affaires étrangères de Roumanie

Mme Tanja Fajon, ministre des Affaires étrangères de Slovénie

M. José Manuel Albares Bueno, ministre des Affaires étrangères, de l’Union européenne et de la Coopération d’Espagne

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