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Il y a 75 ans, la naissance du mark allemand

Musée de la réforme monétaire de 1948 (Haus Posen), dans une ancienne caserne de la base militaire de Rothwesten, près de Kassel

Musée de la réforme monétaire de 1948 (« Haus Posen »), dans une ancienne caserne de la base militaire de Rothwesten, près de Kassel, © picture alliance / epd-bild | Andreas Fischer

22.06.2023 - Article

Le 20 juin 1948, le mark allemand (Deutsche Mark) était mis en circulation dans les zones d’occupation occidentales. Avec la libération simultanée des prix, il inaugurait une nouvelle ère, celle de l’économie sociale de marché. Récit.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne est occupée et exsangue. Elle vit au rythme du rationnement et du marché noir. Le mode de financement inflationniste choisi par les nazis pour financer la guerre a gonflé la masse monétaire. Mais face à la pénurie de biens et à la faiblesse de la production, une immense quantité de monnaie ne trouve pas à s’employer. Les prix ne peuvent pas jouer leur rôle de rééquilibrage entre l’offre et la demande. Ils sont bloqués depuis 1936, et restent strictement encadrés. Le manque de biens de consommation, de charbon et de matières premières engendre la misère, la faim et le dénuement. Il faut un nouveau départ.

Depuis plusieurs années, des experts réfléchissent en Allemagne à des projets de réforme économique et monétaire pour l’après-guerre. Le contexte de l’occupation favorise toutefois les conceptions des Alliés. Ces derniers réunissent des experts allemands dans le plus grand secret à Rothwesten, près de Kassel, pendant plusieurs semaines. L’objectif est d’arrêter certaines des modalités techniques de la réforme. Une date est fixée. Le dimanche 20 juin, une nouvelle monnaie, le mark allemand (Deutsche Mark) doit se substituer aux milliards de Reichsmarks dépréciés.

Contrôle ou libération de l’économie ?

L’artisan désigné pour mener à bien cette réforme est Ludwig Erhard, un économiste bavarois aux conceptions libérales. Il dirige depuis quelques semaines l’administration de l’économie du Conseil administratif (Verwaltungsrat) allemand. En théorie, il n’a pas à se soucier de la dimension politique de la réforme. Mais cette forte personnalité est persuadée que la réforme monétaire doit aller de pair avec une réforme économique : que fera-t-on si la nouvelle monnaie ne provoque pas de réaction de confiance et un retour de biens sur le marché ? Erhard est persuadé que seule la levée du contrôle des prix provoquera le choc escompté.

Nouveau départ

20 juin 1948. À Hambourg, la foule se presse aux guichets pour échanger ses anciens Reichsmark sans valeur contre les nouveaux mark allemands
20 juin 1948. À Hambourg, la foule se presse aux guichets pour échanger ses anciens Reichsmark sans valeur contre les nouveaux mark allemands© picture-alliance / AKG

L’histoire lui donne raison. Le futur chancelier fédéral (1963-1966) décide seul, dans la foulée de la réforme monétaire, d’abolir en grande partie le contrôle des prix qui enserre l’économie (sauf pour les produits « vitaux », notamment). Certains commentateurs parleront par la suite d’un « coup de génie » : du jour au lendemain, les étals se remplissent. Beurre, café, fruits : les stocks accumulés ressortent des arrière-fonds de commerce. Au général américain Lucius Clay qui lui fait remarquer qu’il n’était pas habilité à modifier le contrôle des prix sans autorisation alliées, Erhard se contente de répondre dans un sourire pincé : « je ne l’ai pas modifié, je l’ai levé ! »

Dans la pratique, la réforme se déroule en plusieurs étapes. Le 20 juin, chaque habitant d’une des trois zones d’occupation occidentales reçoit une somme forfaitaire de 40 marks allemands (Deutsche Mark, DM). Ils sont échangés au taux de un pour un. S’ensuit quelques semaines plus tard une autre enveloppe de 20 DM. Les entreprises reçoivent au même taux la somme de 60 DM par salarié. Dans le même temps, les épargnants doivent signaler leurs avoirs, qui sont placés sur des comptes bloqués.

De fait, la réforme n’impose pas à tous les mêmes sacrifices. Comme lors de la stabilisation qui a suivi l’hyperinflation de 1923, les épargnants détenteurs d’avoirs mobiliers se retrouvent défavorisés par rapport aux propriétaires immobiliers et aux actionnaires. Les avoirs mobiliers sont changés au taux de 6,5 DM pour 100 Reichsmark. Autrement dit, ils fondent. Une « péréquation des charges » est réclamée. Mais elle n’a pas réellement lieu en pratique. En revanche, les salaires, les retraites et les loyers sont échangés au taux de un DM pour un Reichsmark.

Du Deutsche Mark à l’économie sociale de marché

Les mois qui suivent la réforme demeurent difficiles. L’euphorie passée, les prix grimpent à nouveau. Le chômage augmente. La contestation aboutit même en novembre 1948 à une grève générale, qui restera d’ampleur inédite en République fédérale. Le vent de libéralisation qu’a fait souffler Erhard était-il la bonne solution ? N’était-il pas prématuré ? Erhard, servi par son talent oratoire, doit défendre bec et ongles sa réforme contre les partisans du rétablissement d’un contrôle sur les prix.

La critique émane de la gauche (SPD), mais également d’une partie de son camp, en particulier de l’aile sociale de l’Union chrétienne démocrate (CDU). À l’époque, la CDU défend encore officiellement un programme d’inspiration chrétienne et « socialiste », le « programme d’Ahlen ». Il a été adopté en 1947. Mais il est très éloigné des conceptions de Ludwig Erhard, qui va chercher son inspiration du côté d’un nouveau courant, dit « ordolibéral ».

Des mesures sont prises au cours de l’automne 1948. Mais la situation et la polémique ne commencent réellement à s’apaiser qu’à partir du début de l’année 1949. En février, la CDU abandonne définitivement le programme d’Ahlen lors de son congrès à Königswinter. Elle se rallie aux conceptions libérales de Ludwig Erhard. En septembre, elle défend lors de la première élection du Bundestag des positions inspirées du discours d’Erhard. Ces positions, désignées sous le nom de « principes de Düsseldorf », marquent la conversion de la CDU à l’« économie sociale de marché ».

Le « miracle économique » ouest-allemand

Au début des années 1950, le débat économique sera relancé, suite à la guerre de Corée. Mais dès le milieu des années 1950, la RFA connaît une croissance exceptionnelle (de l’ordre de 7% par an, en moyenne, dans les années 1950). Et ce sans inflation. Ce « miracle économique » s’accompagne du plein emploi. En 1957, la Bundesbank voit le jour, signant à nouveau le succès de l’un des piliers de l’économie sociale de marché : l’indépendance de la banque centrale vis-à-vis du pouvoir politique.

La fin de la décennie voit le consensus de toute la société se parfaire autour du nouvel ordre économique. En novembre 1959, le parti social-démocrate se rallie à son tour à l’économie sociale de marché en tournant la page du marxisme au congrès de Bad Godesberg.

En 1957, Ludwig Erhard, qui deviendra chancelier en 1963, avait synthétisé sa pensée dans un livre. Il s’intitulait « La prospérité pour tous ».

Anne Lefebvre

(Auteur du mémoire de Master « Le traumatisme de l’inflation en Allemagne (1914-janvier 1949) », 2002)

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