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Discours d’ouverture de la Conférence des cheffes et chefs des représentations allemandes à l’étranger par la ministre fédérale des Affaires étrangères Annalena Baerbock
Chère Ngozi, je me réjouis tout particulièrement que vous soyez ici parmi nous aujourd’hui. Je ne pourrais, à vrai dire, m’imaginer une meilleure invitée pour une conférence où nous portons avant tout notre regard sur nos partenaires internationaux.
Car les questions que nous nous posons sont également des questions auxquelles vous avez été confrontée tout au long de votre impressionnante carrière. En tant qu’une des grandes figures politiques du Nigéria, en tant qu’experte illustre de la Banque mondiale, et maintenant en tant que directrice générale de l’Organisation mondiale du commerce.
Comment renforcer nos partenariats dans un monde où un nombre croissant d’acteurs luttent pour étendre leur influence ? Comment réussir, dans un tourbillon de crises, à ne pas choisir le repli, le nationalisme ou le populisme, mais l’ouverture, une coopération qui tient compte des intérêts de tous les partenaires et qui rend service en premier lieu à ceux qui en ont le plus besoin ?
Chère Ngozi, vous avez récemment résumé l’essentiel de ces questions dans un essai :
« La mondialisation n’est pas terminée et nous ne devrions pas non plus le souhaiter. Elle doit cependant être améliorée et repensée pour l’ère qui s’ouvre devant nous. »
Je vois cela tout à fait de la même façon. Et je pense que cela n’implique pas seulement que nous repensions notre coopération en matière de commerce, mais aussi concernant toutes les grandes questions auxquelles vous, nos cheffes et chefs des représentations allemandes à l’étranger, vous vous consacrez au quotidien, à l’échelle internationale, dans un monde connecté.
Notre sécurité partagée, la politique climatique internationale, l’endiguement mondial des crises et des conflits, la lutte contre la pauvreté, contre la faim et la souffrance. J’en suis convaincue : si nous voulons repenser ces questions, alors nous devons commencer par le faire nous‑mêmes chez nous. Cela signifie pour moi très concrètement que nous devons nous demander en premier lieu comment nous voulons façonner à l’avenir le rôle de l’Allemagne dans une Europe unie et dans le monde.
Comme chacun le sait, ce rôle a radicalement changé ces dix‑huit derniers mois, avec la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine, avec le tournant historique.
Quand on y songe, on a l’impression que c’était il y a deux décennies, mais cela remonte seulement à deux ans : à l’époque, des milliards de mètres cubes de gaz naturel étaient acheminés par Nord Stream 1 et par d’autres gazoducs de la Russie vers l’Allemagne. Des énergies fossiles de Russie couvraient une grande partie de nos besoins en énergie. Ce n’est désormais plus le cas, en particulier pour l’Allemagne.
Il y a tout juste deux ans, l’idée que l’Allemagne allait livrer des chars et des systèmes de défense aérienne vers une zone de guerre aurait été pour le moins étrange. Aujourd’hui, l’Allemagne est au premier plan des livraisons d’armes pour l’autodéfense de l’Ukraine.
Ce tournant, ce tournant historique, ne s’est pas fait en un tour de main ; il a demandé de l’énergie et des discussions, y compris des discussions douloureuses. Il nous a surtout poussés à réfléchir sur nous‑mêmes. Mais nous avons réussi ensemble ce changement de cap.
De mon point de vue, les dix‑huit derniers mois ont marqué le début d’une nouvelle phase de la politique étrangère allemande. On peut constater à quel point celle‑ci est cruciale si nous jetons un regard en arrière sur les différentes phases de la politique étrangère allemande et sur les bifurcations auxquelles nous nous sommes trouvés à l’époque, bifurcations où il fallait à chaque fois se demander quelle direction prendre : reste‑t‑on là où on est, ou bien doit‑on aller vers l’avant, vers la droite ou vers la gauche ? Étant donné le temps limité qui m’est imparti, je vais résumer l’essentiel de la situation.
Après la Shoah et les atrocités de la Seconde Guerre mondiale déclenchée par l’Allemagne, la politique étrangère de notre pays s’est fondée sur la prémisse qu’aucune guerre ne devait plus jamais partir du sol allemand. Cela reste la base de notre action en politique étrangère. Après 1945, l’Allemagne aspirait à gagner la confiance d’anciens ennemis. Et nous sommes jusqu’à ce jour reconnaissants – y compris moi‑même, du haut de mes 42 ans – que ma génération ait eu la chance de pouvoir grandir en paix, que nos voisins et amis, que le monde entier nous ait tendu la main et nous ait à nouveau accueillis dans les rangs de la communauté internationale. Or tout cela n’avait rien d’évident.
Nous célébrons cette année les cinquante ans de notre adhésion aux Nations Unies. Cela souligne à quel point cela n’était pas une évidence après 1945, et cela montre combien de temps il a fallu pour que l’Allemagne – à l’époque encore divisée en RFA et en RDA – soit réintégrée en 1973, soit bien après la fondation des Nations Unies, au sein de la communauté internationale, au sein des Nations Unies.
La République fédérale d’Allemagne apporta à l’époque des contributions indéniables à l’alliance occidentale. Parallèlement, les gouvernements allemands firent preuve de retenue en politique étrangère – encore une fois à juste titre – et pratiquèrent ce qu’on appelle aujourd’hui la « diplomatie du chéquier », qui consiste en la conviction que notre argent, plutôt que nos soldats, devrait contribuer au règlement des conflits. C’était juste et important à cette époque. Dans le même temps, nous avons clairement indiqué, dans cette phase de la politique étrangère allemande, que par cette diplomatie du chéquier, nous voulions offrir quelque chose en retour.
Lorsque j’ai commencé à parler de politique étrangère guidée par des valeurs, on m’a souvent demandé quelle était ma position sur la diplomatie du chéquier. Cela fait déjà quelque temps que je travaille dans la politique – il était évident qu’on ne s’attendait pas, en guise de réponse à cette question, à une analyse de la politique étrangère allemande, mais plutôt à ce qui, malheureusement, marque aujourd’hui la politique étrangère : de gros titres accrocheurs. Voilà qui aurait en effet fait un beau titre : « Annalena Baerbock critique Hans‑Dietrich Genscher. » Mais de quel genre de question s’agit‑il ? Comme s’il était possible de comparer les années 1970 ou 1980 avec l’année 2023. Qui aurait l’idée de dire que ce qui marchait en 1970 servirait automatiquement de plan directeur pour la politique étrangère allemande, même des décennies plus tard ? Comme si cinq ans passés au sein des Nations Unies était la même chose qu’aujourd’hui 50 ans d’adhésion au sein de cette même organisation. Il importait donc pour moi d’emblée de clarifier ceci : à chaque époque ses tâches. Aussi ne peut‑on pas simplement copier la politique étrangère, copier la politique tout court, du passé ; on ne peut au contraire que la repenser sans cesse, comme vous l’avez formulé pour la politique commerciale internationale. Car cela serait, à vrai dire, un tant soit peu saugrenu si la diplomatie du chéquier était la seule chose que nous ayons aujourd’hui à offrir à la CEDEAO ou à l’Ukraine.
En 1989, une troisième phase débuta pour la politique étrangère allemande, lorsque, précédant même les citoyens courageux d’Allemagne de l’Est, nos voisins à l’Est ébranlèrent les dictatures de l’autre côté du rideau de fer et tendirent par la suite la main à l’Allemagne réunifiée. Dans une Union européenne commune, dans notre Union européenne commune. Il ne fait aucun doute pour nous aujourd’hui : de même que nos voisins nous ont tendu la main après 1945 et qu’ils rendirent possible la réunification allemande en 1989, de même nous nous tenons à leurs côtés en cette période nouvelle.
Durant cette troisième phase, notre pays s’impliqua parallèlement de plus en plus dans le cadre des Nations Unies et d’opérations dirigées par l’OTAN. Les images insoutenables des guerres des Balkans soulevèrent dans ce contexte‑là également la question de la participation à des mandats robustes, ce qui aboutit à l’engagement actif de l’Allemagne dans le cadre des forces dirigées par l’OTAN au Kosovo. Et cette décision – encore une fois une décision qu’il fallut prendre activement – fut importante. Non pas en dépit, mais précisément en raison de l’histoire de notre pays, comme l’a déclaré l’ancien ministre fédéral des Affaires étrangères Joschka Fischer : la responsabilité de l’Allemagne dans l’Holocauste ne signifie pas seulement une obligation au sens de « plus jamais de guerre », mais aussi de « plus jamais d’Auschwitz, plus jamais de génocide ».
Au cours des dernières années, l’Allemagne a appuyé ses partenaires dans des opérations de l’ONU, de l’UE et de l’OTAN dans le monde entier, et elle les a aidés à façonner activement les Nations Unies, à faire évoluer le droit international ; c’est aussi de cela qu’a été imprégnée cette phase de façon si intense. Nous le faisons jusqu’à ce jour et nous voulons continuer à le faire à l’avenir.
La guerre d’agression russe contre l’Ukraine a toutefois fondamentalement changé une chose : nous avons dû reconnaître de manière brutale que notre propre sécurité ne va pas de soi. Ce constat aura une influence sur notre politique pour de nombreuses années à venir. Et c’est de cela dont il est question dans cette nouvelle et quatrième phase de notre politique étrangère : de la manière dont nous gérons les menaces contre notre propre sécurité au cœur de l’Europe, et surtout dont nous assumons nous‑mêmes activement des responsabilités, comme d’autres ont assumé des responsabilités pour notre sécurité.
On peut en tirer à mes yeux deux conclusions essentielles.
Premièrement, nous devons nous repositionner plus fermement sur les plans politique, économique, militaire, civil et mental. Nous devons investir dans nos propres atouts.
Et deuxièmement, nous devons investir à l’extérieur, dans nos alliances européenne et transatlantique ainsi que dans de nouveaux partenariats mondiaux.
C’est précisément ce que nous avons inscrit conjointement, en tant que gouvernement fédéral, dans notre première Stratégie de sécurité nationale.
Mais la question du « comment » est à mon avis au moins tout aussi importante que celle du « quoi faire ».
Je pense que si nous voulons être un partenaire fiable qui ne reste pas sur la touche mais qui est prêt à façonner le jeu, alors nous devons sans cesse oser l’initiative. Ne pas lâcher prise, même si le succès n’est pas garanti, ou si, au début, on ne sait pas encore qui sera de la partie. Oser l’optimisme, surtout en cette période. Ne pas plier face aux vents contraires mais se redresser, pour nos valeurs et nos intérêts. Ne pas faire cela de manière naïve et ingénue ou par principe, mais avec confiance et clairvoyance. Car nous ne pouvons pas nous permettre de rester les bras croisés et de renoncer au moindre signe de résistance. Sinon, d’autres combleront ces lacunes. Dans le doute, cela se fera contre nos valeurs et contre nos intérêts.
Et c’est là qu’à mes yeux, la nouvelle phase de politique étrangère allemande déploie pleinement ses effets. Non pas comme une rupture nette avec les phases précédentes, mais comme une suite logique.
En discutant dernièrement avec mon nouveau secrétaire d’État Thomas Bagger – à qui je souhaite ici‑même à nouveau la bienvenue à Berlin après sa prise de fonctions la semaine dernière –, nous nous sommes remémoré une formulation standard qu’on retrouvait autrefois souvent dans des instructions destinées à nos représentations multilatérales à New York ou à Genève : « Nous ne nous opposerons pas à un consensus qui se dessine. »
À en croire les murmures dans la salle, cette phrase ne vous est pas inconnue.
À l’époque, c’était plus que logique étant donné qu’en tant qu’outsiders, nous n’avions rejoint les institutions internationales, en particulier les Nations Unies, la communauté internationale, que depuis 1973. Nous ne voulions pas nous retrouver seuls. Mais aujourd’hui, je trouve qu’il serait beaucoup trop facile d’affirmer que dans le doute, nous nous serions retrouvés seuls. Ou de poser des questions jusqu’à ce que nous n’ayons pas à formuler nous‑mêmes de position propre.
Cela fait déjà 558 jours que la terrible guerre de la Russie fait rage ; nous avons vu depuis à quel point notre unité, notamment au sein de l’Union européenne mais aussi au‑delà, nous rend forts. Mais nous avons aussi vu qu’au début de ces 558 jours, il n’y avait pas de plan directeur à partir duquel nous aurions pu reprendre les phrases types tirées des instructions d’autrefois. Nous avons vu que cette unité n’était pas simplement tombée du ciel et combien il était essentiel, avant de prendre de nouvelles décisions, de toujours se demander d’abord à soi‑même : où voulons‑nous aller ? Comment pouvons‑nous y parvenir, avec nos partenaires ? Et de toujours se laisser remettre en question.
Nous n’aurions sinon jamais pu mettre sur pied ces trains de sanctions ni cet important soutien à l’autodéfense de l’Ukraine. Au sein de l’OTAN et du G7, et surtout au sein de l’Union européenne. Nous avons mis en place des aides militaires, des paquets de sanctions, de l’aide humanitaire et un soutien politique, car nous étions sans relâche prêts à avancer nos propres idées, car nous étions disposés à trouver des compromis et, surtout, car nous avons montré clairement que nous défendons notre unité européenne avec tout ce que nous avons. Nous avons indiqué clairement que l’Ukraine, le Moldova, les États des Balkans occidentaux et, à terme, la Géorgie, allaient devenir des États membres de l’UE. Je ne sais pas qui en aurait fait le pari il y a cinq ans.
Cela signifie cependant également que nous devons maintenant agir avec courage pour que cette future UE à plus de 30 États soit elle aussi une Union forte et capable d’agir. Chères et chers collègues, Mesdames et Messieurs, cela présuppose des réformes internes. C’est pourquoi avec certains partenaires, nous avons lancé un processus afin de pouvoir prendre plus de décisions de notre politique extérieure et de sécurité commune à la majorité qualifiée. Et sur ce point‑là également, nous sommes encore loin d’avoir un consensus. Mais là aussi, il était clair que l’Allemagne ne pouvait pas simplement rester sur la touche. Et il est tout aussi évident que cette approche, à elle seule, ne suffira pas. Des réformes des institutions européennes et de la politique de cohésion seront également nécessaires, tout comme des réponses à la question de savoir comment nous voulons renforcer l’UE en tant qu’acteur géopolitique.
Nous savons que cela sera difficile. Ces processus, dont nous sommes certains d’avoir besoin, seront‑ils finalement vraiment couronnés de succès ? Nous ne pourrons jamais en avoir la certitude, mais cela ne peut constituer en soi un motif pour ne pas avancer de propositions. Car ceux qui veulent l’élargissement doivent également œuvrer pour que l’UE réalise les réformes nécessaires à cet égard. Au final, c’est exactement ce que nous exigeons également des candidats‑membres mêmes.
Avant le Conseil européen du mois de décembre, nous voulons organiser une Conférence européenne à Berlin afin de discuter justement des mesures que nous devons prendre au sein de l’Union européenne en ce qui concerne l’élargissement et les réformes qui le sous‑tendent. Je crois en effet qu’en tant que première économie de cette Union, mais aussi en tant que pays qui a pu redevenir un seul pays grâce à ses partenaires européens, nous avons une responsabilité particulière pour continuer à développer notre communauté.
Ce constat s’applique cependant aussi en ce qui concerne nos partenariats dans le monde. Si nous voulons renforcer nos partenariats en Afrique, en Amérique latine ou en Asie, nous devons, j’en suis convaincue, être prêts à écouter et, ici aussi, prêts à nous remettre nous-mêmes en question, mais aussi prêts à être remis en question. Il n’est pas toujours agréable de s’entendre dire : « Pourquoi devrions-nous vous soutenir, avec votre regard sur l’Ukraine ? Et vous, où étiez-vous lorsque nous avons eu besoin de vous ? Où était l’Allemagne de l’Ouest lorsque nous avons lutté contre l’apartheid en Afrique du Sud ? » Nous devons accepter qu’on nous pose cette question. Certes, on ne doit pas tout accepter sans rien dire, mais ce n’est pas non plus la mer à boire.
C’est précisément pour cela qu’il est si important que nous nous confrontions à notre histoire coloniale. Je dis cela en particulier lors de mes interventions ici en Allemagne. C’est un élément d’une politique étrangère active. Tirer les conséquences des chapitres sombres de notre histoire est un élément d’une politique extérieure qui inclut le respect vis-à-vis des autres. Nous venons à l’instant d’avoir à nouveau une discussion sur ce que signifie aussi pour le Nigéria le fait de récupérer les bronzes du Bénin, ou du moins une partie ; ce n’était en effet qu’une toute petite partie de la restitution. Car si nous nous confrontons honnêtement à notre passé, nous pouvons aussi parler beaucoup plus ouvertement de notre futur avec nos partenaires.
Pour cela, nous devons prendre plus au sérieux leurs préoccupations en matière de sécurité. Je dis cela en particulier aussi en pensant à la crise climatique. Cette crise attise les conflits et frappe de plein fouet les petits États, qui sont particulièrement vulnérables. Chacun le sait : l’augmentation du niveau de la mer peut finir par submerger des États insulaires tout entiers. C’est pour cette raison, par exemple, que notre nouvelle ambassade aux Fidji ne sera pas une ambassade comme une autre, qui serait juste une ambassade de plus, mais elle sera l’une de nos plus importantes ambassades dans le monde car elle représentera une région, pas uniquement les Fidji, un État insulaire, mais de très nombreux États insulaires. Elle est l’expression de notre nouveau partenariat, conscients que nous sommes de nos responsabilités dans ces temps géopolitiques nouveaux.
Chères et chers collègues, particulièrement là où nous n’étions pas encore présents précédemment, sous la forme d’une ambassade ou même par notre politique extérieure, notre mission est avant tout d’écouter et de travailler, avec nos partenaires, à l’élaboration de solutions concrètes. C’est cette idée précise qui nous a amenés à faire entrer la diplomatie climatique au ministère fédéral des Affaires étrangères. Non seulement pour entretenir le contact avec nos partenaires dans le domaine de la politique climatique, mais aussi pour souligner combien, pour nous, cette mission ne relève pas que de la politique climatique, mais bien de la politique de sécurité. Ce qui est déjà le cas pour de très nombreux pays à travers le monde.
C’est pourquoi nous avons précisément en vue les États les plus fragiles lorsque nous incitons les participants à la prochaine COP de Doubаï à faire preuve de plus d’ambition, s’agissant du développement des énergies renouvelables ou des nouveaux mécanismes contre les pertes et préjudices. Ici aussi, nous ne savons pas si cela réussira, si ce nouvel instrument des pertes et préjudices prendra son envol, comme diraient joliment nos diplomates. Cela dépendra également de savoir, puisque la politique climatique est aussi, dans une très large mesure, de la géopolitique, dans quelle mesure nous allons voir se reformer d’anciens ou de nouveaux blocs lors des conférences climatiques. Reverrons-nous le « G77 » contre les « États industrialisés », ou réussirons-nous ce que nous sommes déjà parvenus à construire petit à petit, du moins en partie, au cours des dix-huit derniers mois : de nouvelles alliances et de nouveaux formats pour le climat, plus forts, qui briseront ces vieux bastions ?
Il est une chose sur laquelle nous nous appuyons sans cesse dans cette nouvelle ère et dans tous ces nouveaux formats, c’est une action diplomatique, la nôtre, qui est marquée dans chacune de ses phases par nos valeurs et par nos règles, par nos intérêts inscrits dans la Loi fondamentale. C’est sur leur base que la communauté internationale nous a jadis à nouveau accueillis en son sein : sur la base de la Charte des Nations Unies, du droit international et des droits humains. Consolider cet ordre-là est le principe directeur de notre action. C’est cela, la politique étrangère guidée par des valeurs. Quand je dis « cet ordre-là », cela peut sembler abstrait, mais cet ordre-là est quelque chose de très concret, qui comprend des règles et des institutions, dans lesquelles grands et petits se sentent traités de manière égale et équitable. Parce que ces règles et ces institutions respectent et protègent les droits de tous.
Mais ce que nous remarquons lorsque nous tendons une oreille attentive, c’est justement que nos partenaires plus petits et moyens s’inquiètent lorsqu’il est question d’un ordre s’inscrivant dans un « monde multipolaire ». Car si la multipolarité a pour effet qu’encore plus de grands États négocient entre eux, en coulisses, « cet ordre-là », cela deviendra un cauchemar pour les États plus petits et moyens, qui forment la grande majorité des 193 pays membres des Nations Unies. C’est pour cela qu’il nous tient à cœur de concevoir notre réalité en cette année 2023 de telle sorte qu’elle tienne compte de tous et qu’elle soit plus juste.
Nous ne voulons donc pas être une puissance du « statu quo ». Nous voulons continuer à développer l’ordre international, et précisément en écoutant attentivement ce qui tient à cœur à nos partenaires.
Prenez l’exemple du Conseil de sécurité des Nations Unies. La dernière fois qu’il a été réformé, c’était il y a 60 ans. Depuis lors, il y a non seulement une Allemagne réunifiée, mais près de 60 États ont pris le chemin de l’indépendance. En Afrique, en Amérique latine, en Asie. Ces États réclament à juste titre un droit de participation et une place appropriée autour de la table.
Il en est de même pour les institutions financières internationales, les organismes en charge de la santé et les formats tels que le G20, où l’Union africaine, par exemple, doit avoir sa place en tant que membre permanent.
Mais nous devons aussi améliorer nos instruments communs si nous voulons relever les défis d’aujourd’hui. De nombreux pays vulnérables peuvent à peine investir dans la protection contre les dommages liés au changement climatique car ils croulent presque sous une immense montagne de dettes. Il nous faut des solutions ici également.
Dans ce domaine aussi, il y a du pain sur la planche. Et une fois de plus, si nous nous défilons sur ces questions, d’autres seront bien là et ils apporteront leurs réponses. Si à d’autres moments décisifs de la politique étrangère, des personnes sans courage avaient pris le chemin le plus facile, nous n’aurions aujourd’hui ni l’Union européenne, ni l’OSCE, ni même la Cour pénale internationale – même si, comme chacun le sait, tous les États n’en font pas encore partie.
Commencer, puis continuer à développer : c’est aussi ce qui a toujours caractérisé la diplomatie allemande. C’est la raison précise pour laquelle nous travaillons à la poursuite du développement du droit international. Cela aussi semble très abstrait. Mais je crois que sur ce point aussi, nous sommes à un moment décisif où on peut réussir quelque chose qui n’aurait pas été possible à une autre époque : réformer le Statut de Rome de telle sorte que le crime d’agression puisse être poursuivi devant la Cour pénale internationale. Chacun sait en effet que le vide juridique actuel en droit international ne permet pas d’amener les dirigeants russes devant la Cour pénale internationale pour qu’ils répondent de la rupture de la paix dont ils sont les auteurs. Ici aussi, nous entendons dire de toutes parts : « Réformer le Statut de Rome ? Pour quoi faire ? Ça va durer une éternité. » Mais quand nous voyons à quel point nous pouvons être reconnaissants que d’autres aient eu le courage de nous tendre la main, alors nous avons ici à mes yeux une obligation, précisément en ce qui concerne le droit international. Et s’agissant du crime d’agression, il est aujourd’hui absolument décisif et essentiel, à mon sens, de ne pas seulement rechercher l’angle de vue européen mais de voir le contexte plus large de notre responsabilité à l’échelle mondiale. Et oui, nous pouvons faire ici activement la différence avec la diplomatie allemande. Bien sûr, on songe ici à l’Ukraine. Mais l’enjeu est bien plus vaste. Cela concerne tous les pays du monde qui doivent craindre une agression de l’un de leurs voisins. C’est justement pour cela que nous travaillons déjà aujourd’hui avec les États, surtout africains, qui ont déjà effectué une première tentative en ce sens il y a treize ans.
Notre mission est maintenant d’avoir précisément ces pays-là à nos côtés. Je crois que ce qui rend notre rôle particulier dans ce domaine est que nous avons toutes les raisons d’être courageux et confiants non seulement parce que nous savons ce que nous avons à offrir. Mais aussi parce que nous avons beaucoup gagné en confiance grâce aux phases par lesquelles notre diplomatie est passée précédemment. Et parce que, en partie, nous n’avons pas commis les erreurs des autres et avons au contraire participé au lancement d’initiatives importantes comme la Cour pénale internationale.
D’autre part – nous ne devrions pas l’oublier non plus –, nous avons quelque chose à offrir parce que la confiance qui est placée en nous est fondée sur le fait que nous sommes engagés depuis très longtemps pour un ordre international juste, pour une lutte contre la destruction de l’environnement et du climat, pour un développement durable et pour défendre la paix et la sécurité, y compris dans d’autres régions. C’est également pour cette raison que nous sommes à nouveau candidats pour un siège au Conseil de sécurité en 2027 et 2028.
Il y a en même temps une chose qui prévaut, naturellement : nous savons combien les temps que nous traversons sont difficiles. Être optimistes ne signifie pas que l’on ne voit pas les écueils et les obstacles qui sont devant nous.
Nous savons que tous ne voient pas les choses comme ça. C’est pourquoi, à ceux qui rejettent notre vision d’un ordre international en la taxant d’« idéologie occidentale », je demande sans cesse, tout simplement, et sans arrière-pensée : quelle est donc votre version d’un ordre international, si ce n’est pas la Charte des Nations Unies, si ce n’est pas la Déclaration universelle des droits de l’homme, sur laquelle nous nous sommes tous mis d’accord ? Y a-t-il d’autres intérêts qui comptent, s’agit-il d’un autre ordre ?
Bien sûr, nous ne pouvons forcer personne à prendre position pour nous et contre les autres. C’est d’ailleurs précisément ce que nous ne voulons pas. Nous, Allemandes et Allemands, avons vécu de près, pendant quatre décennies, ce que signifie la constitution de blocs. Nous le savons : un véritable partenariat ne peut jamais être seulement un moyen pour arriver à une fin. Il doit être bénéfique aux deux parties.
C’est aussi l’un des défis centraux auxquels nous sommes confrontés dans notre rapport avec la Chine. De nombreux pays se tournent de plus en plus vers la Chine, par exemple lors de ces conférences climatiques où l’on se dit qu’ils n’ont tout de même rien en commun en ce qui concerne la politique climatique : cela tient souvent au fait que ces pays pensent qu’ils n’ont aucune alternative. La Chine a l’avantage surtout là où nous offrons trop peu, ou bien là où nous plaidons trop peu pour ce que nous offrons. Notre Stratégie pour la Chine s’adresse dès lors surtout à nous-mêmes. C’est à nous-mêmes qu’il incombe de donner la preuve de notre engagement en avançant des solutions concrètes. Cet aspect-là aussi est décisif, chers cheffes et chefs des représentations allemandes : c’est à nous de communiquer en toute clarté quelles sont nos propositions.
Chère Ngozi, cette disposition à faire évoluer le statu quo et à bâtir ensemble une nouvelle mondialisation, cela vaut aussi pour la politique commerciale. Vous venez de le souligner : le nombre de personnes vivant dans une pauvreté extrême a considérablement diminué au cours des dernières décennies grâce aussi à un accroissement énorme des échanges internationaux. Ce qui est toutefois déterminant pour que le commerce international soit juste et durable, c’est qu’il y ait ici aussi des règles claires et équitables, qui vaillent pour tout le monde. Des règles qui soient conçues pour tous les pays, et pas seulement pour une partie d’entre eux. Des règles qui soient respectées et qui puissent s’imposer.
Nous observons cependant que le travail de l’OMC est entravé par des tensions géopolitiques, par des différences entre pays en développement et pays industrialisés, ou entre les États-Unis et la Chine. Il y a là des questions essentielles qui parfois sont sous-entendues : à partir de quand un pays n’est-il plus un pays en développement ? Jusqu’où des mesures protectionnistes sont-elles permises pour favoriser des secteurs économiques importants, par exemple pour la protection du climat ou dans le domaine des semi-conducteurs ? Comment empêcher la course aux subventions, qui finit par porter préjudice à tout le monde ?
L’OMC elle aussi a besoin de réformes afin que nous puissions résoudre ces questions, afin qu’elle soit à nouveau le lieu où repenser la mondialisation, tel que vous l’avez réclamé, chère Ngozi ; et afin que son mécanisme de règlement des différends fonctionne à nouveau, y compris à l’ère du numérique et de l’intelligence artificielle. Et qu’il fonctionne aussi vite que le monde d’aujourd’hui tourne.
C’est pour cela que vous vous engagez et que nous nous engageons, avec toute notre énergie. Pour y arriver, nous n’allons pas passer en force. Nous avons besoin de compromis. Comme toujours dans la vie, comme toujours en politique. Nous n’allons pas cesser de rechercher de nouvelles voies, y compris avec des partenaires difficiles, même si nous ne partageons pas le même point de vue sur toutes les questions. Cela exige aussi que nous ayons sur nous-mêmes un regard critique, car nous savons que nous non plus, nous ne sommes pas parfaits.
Nous savons que nous sommes souvent face à des dilemmes où rien n’est « vrai à 100 % » ou « faux à 100 % ». Car même notre politique et nos espoirs, que nous faisons reposer sur des procédures et sur la coopération, peuvent échouer. Toute action contient en elle la possibilité de l’échec. Nous le voyons de façon dramatique au Sahel, au Mali et aujourd’hui tout particulièrement, de façon tragique, même, au Niger. Nommer les problèmes, mettre en lumière les choix auxquels nous sommes confrontés, pour moi, c’est aussi un signe de force. Et c’est le cœur d’une politique étrangère féministe. Une politique qui écoute, une politique qui nomme les dilemmes et qui s’y confronte. J’en ai la conviction : analyser de manière critique notre propre action, notamment dans le domaine des questions commerciales partout dans le monde, ne nous affaiblit pas, mais nous rend plus forts.
Chère Ngozi, Mesdames et Messieurs, chères et chers collègues,
Repenser, mieux penser notre coopération internationale et la mondialisation : c’est la formule que vous avez utilisée. C’est ce que nous voulons faire ensemble. En tant que partenaire qui sait quelle responsabilité est la sienne vis-à-vis de ses voisins, de ses amis et de ses autres partenaires. Qui ne se défile pas lorsque les choses deviennent difficiles. En tant que coéquipier qui connaît ses propres atouts et qui laisse ses partenaires prendre part au jeu avec leurs propres atouts. Car ensemble, nous sommes meilleurs.
Nous sommes courageux et confiants. Car ce qui compte, c’est notre sécurité commune, c’est un avenir juste.