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Pourquoi certaines démocraties européennes sont-elles plus résilientes que d’autres face aux atteintes à l’État de droit ?

RESILIO

RESILIO, © Institut für Europäische Politik

07.06.2024 - Article

Dans son projet « RESILIO - Resilience observatory on the rule of law in Europe », l’Institut de politique européenne (IEP) de Berlin évalue la résilience de l’État de droit dans les 27 pays membres de l’Union européenne (UE) à l’aide d’une grille d’analyse systémique. Il élabore sur cette base des stratégies de prévention du recul de l’État de droit.

Maria Skóra, directrice de recherche pour le projet RESILIO, nous en explique les résultats et l’importance à la veille des élections européennes.

En quoi l’étude RESILIO se distingue-t-elle d’autres études sur l’État de droit dans l’UE ? Comment est-elle structurée ?

Maria Skóra : L’étude RESILIO repose sur un modèle de résilience qui prend en compte plusieurs dimensions : la capacité de résistance de l’architecture juridique et institutionnelle, les phénomènes et tendances observés dans les sociétés ainsi que l’environnement au sens large. La dimension systémique est au cœur de cette approche. Elle englobe les règles et normes qui permettent à l’ordre juridique et politique de fonctionner selon les principes établis (justice, administration publique, constitution). La deuxième dimension, la dimension subsidiaire, vise à déterminer comment l’État de droit est reconnu et mis en œuvre au sein de la société (société civile, médias, politique). Enfin, la dimension contextuelle favorise la paix sociale. Elle empêche que des acteurs antidémocratiques cherchant à saper les fondements de l’État de droit trouvent un appui au sein de la société (situation économique, cohésion sociale, débat public). Il faut noter que les crises et leur instrumentalisation politique peuvent influencer toutes ces dimensions constitutives de la résilience des États de droit à des degrés divers.

Chaque dimension comprend trois facteurs. Ceux-ci sont mis en perspective à l’aide de mesures empiriques. Chacun d’entre eux est nécessaire. Mais seule la combinaison de l’ensemble est suffisante pour garantir un État de droit résilient.

Comment RESILIO peut-il aider à améliorer la résilience de l’État de droit ?

MS : L’étude RESILIO détermine comment l’environnement complexe dans lequel l’État de droit s’inscrit peut contribuer à sa résilience. C’est une nouvelle perspective qui ouvre la voie à des mesures permettant d’empêcher un recul démocratique et une régression de l’État de droit. Le projet RESILIO aide à identifier les points faibles. Il contribue à trouver des moyens de consolider les défenses contre les atteintes aux droits. Cela va au-delà du cadre juridique et de la structure institutionnelle de l’État de droit. En effet, cela inclut des facteurs de résilience tels que la sphère citoyenne, le paysage médiatique, la culture politique ainsi que le contexte socio-économique global.

Les résultats montrent que la constitution, le système politique et les institutions forment les piliers d’une démocratie résiliente. Mais les règles et les normes ne sont efficaces que si elles sont respectées. C’est la raison pour laquelle les comportements et les opinions sont plus importants pour la résilience de l’État de droit que les lois formelles et les normes écrites. La clé de la résilience réside toutefois dans une culture politique démocratique qui impose le respect des règles et sanctionne leur violation.

Qu’en est-il de la résilience de l’État de droit en France ?

MS : Après avoir collecté et analysé les données, nous avons réparti les États membres de l’UE dans différents groupes. Nous les avons réunis en fonction des similitudes observées quant à certaines caractéristiques spécifiques relatives à la capacité de résistance de l’État de droit. À l’instar de la moitié des autres pays membres de l’UE, l’État de droit en France se situe dans la catégorie intermédiaire.

Son système politique robuste, le pluralisme de sa scène politique et le haut niveau d’intégrité de ses procédures électorales constituent de solides atouts. En outre, comparativement à d’autres pays européens, la situation économique de la France est relativement favorable. La France se distingue également par la grande résilience de ses médias et l’excellente qualité de sa justice en termes de fonctionnement et d’indépendance. En revanche, sa constitution apparaît comme problématique car la forte concentration des pouvoirs qu’elle accorde au président de la République peut être instrumentalisée par des acteurs politiques, a fortiori lorsqu’il est possible d’ignorer des usages et traditions démocratiques non écrits sans pour autant enfreindre ouvertement le droit. On observe également un faible niveau de confiance et un débat public fortement polarisé.

L’analyse détaillée de la situation en France peut être consultée sous le lien RESILIO-Länderbericht.

À quels défis l’UE devra-t-elle faire face après les élections européennes de 2024 ?

MS : Le niveau moyen de résilience de l’État de droit dans l’UE cache d’importantes disparités. C’est en Europe du Nord et en Europe de l’Ouest, qui affichent une économie prospère, que la résilience est la plus élevée, et en Europe centrale et orientale qu’elle est la plus faible. À cela s’ajoute l’attrait exercé par les partis d’extrême-droite. La cohésion citoyenne et démocratique ainsi que la posture adoptée face à l’extrémisme de droite constituent des enjeux de poids. Au niveau national comme européen, le risque est devenu réel de voir des partis populistes anti-libéraux remporter des élections, tenter de renverser les institutions démocratiques et essayer de faire reculer l’État de droit. Le fonctionnement de l’UE pourrait s’en trouver impacté. Même si le groupe d’extrême-droite au Parlement européen a peu de chances d’être suffisamment vaste pour peser dans la formation de la nouvelle Commission, il peut jouer un rôle destructeur d’opposition parlementaire.

Quelles opportunités se présenteront-elles à l’UE au cours de la prochaine législature ?

MS : Aujourd’hui encore, les États membres disposent d’élections libre et équitables, d’institutions étatiques solides et de systèmes politiques stables, même si certains pays connaissent quelques difficultés. Il est crucial de tirer parti de ces atouts pour améliorer la palette d’instruments dont nous disposons pour garantir le respect de l’État de droit. Il convient aussi d’adopter des mesures législatives, dans le but de garantir les normes démocratiques et d’améliorer la résilience de l’UE et de ses États membres. En outre, la défense de la démocratie libérale est devenue l’un des chevaux de bataille d’acteurs politiques de premier plan. La volonté politique d’agir avec détermination et d’utiliser les instruments visant à protéger l’État de droit apparaît aujourd’hui plus marquée que par le passé.

De quels instruments dispose d’ores et déjà l’UE pour protéger l’État de droit ? Comment pourrions-nous en élargir encore ou compléter la palette après les élections ?

MS : L’éventail des outils auxquels l’UE peut recourir pour garantir l’État de droit s’est considérablement élargi ces dernières années. Il comprend des mesures de prévention destinées à encourager le respect de l’État de droit. Il y ajoute des sanctions en réponse à des atteintes avérées à l’État de droit. Parmi les mesures préventives figurent des instruments permettant d’informer et de rendre compte, ainsi que des canaux strictement définis pour le dialogue politique. Les sanctions misent sur la pression financière et politique. Elles ont pour but d’amener les pays membres dans lesquels les violations de l’État de droit perdurent à y remédier activement. Condamner un État à des amendes à l’issue d’une procédure d’infraction, réduire les droits de vote en vertu de l’article 7 du Traité sur l’Union européenne, réduire voire geler les paiements relevant du budget européen font partie des leviers correctifs du système de protection de l’État de droit dans l’UE.

La mesure la plus prometteuse à ce jour est le régime dit de conditionnalité. Il permet de geler des fonds issus du cadre financier pluriannuel ou de bloquer d’autres ressources lorsque les normes fixées ne sont pas respectées dans un État membre. Le mécanisme de conditionnalité semble porter ses fruits. Mais son efficacité globale reste à évaluer. Ill n’existe que depuis 2021.

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