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Du houmous et de l’espoir
Oz Ben David et Jalil Dabit sont la preuve qu’une cohabitation pacifique est possible, © Kanaan/Elissavet Patrikiou/Sudwest-Verlag
Un Palestinien et un Israélien tiennent ensemble un restaurant à Berlin. Ils évoquent ici leur amitié, le processus de réconciliation et le pouvoir fédérateur de la bonne cuisine.
Sur un poster arc-en-ciel près de l’entrée du restaurant Kanaan figure l’inscription « Make Hummus, not war » (Faites du houmous, pas la guerre), à l’endroit où est normalement affiché le menu végétarien et végan dans la Schliemannstraße à Berlin. Mais depuis que des combattants du Hamas ont attaqué Israël le 7 octobre dernier, nombre de choses ont changé. Car le Kanaan est tenu conjointement par Oz Ben David, israélien, et Jalil Dabit, palestinien. Ils racontent ici ce qui leur donne espoir dans des moments difficiles et pourquoi le houmous a un rôle fédérateur.
Messieurs Ben David et Dabit, commençons par la plus importante des questions : comment allez-vous ?
M. Ben David : C’est une question simple à la réponse compliquée. Je ressens un mélange de colère, d’angoisse et de désespoir. Dans les jours qui ont suivi l’attaque, j’étais au bout de mes forces et j’étais prêt à fermer le restaurant pour une durée indéterminée. Mais c’était avant que je discute avec Jalil, qui m’a rappelé pourquoi nous faisions cela. Nous donnons de l’espoir. L’espoir que les choses peuvent être différentes, que nous pouvons vivre, travailler et rire ensemble. Jalil m’a permis de donner libre cours à ma peine et à mes craintes, mais nous nous sommes ensuite rappelés combien ce que nous faisons est important.
Si nous abandonnons, les terroristes auront gagné. Nous ne pouvons le tolérer, nous devons continuer d’espérer.
- Jalil Dabit, gérant du Kanaan
Monsieur Dabit, d’où avez-vous su tirer cette force ?
M. Dabit : Cela n’a pas été simple pour moi non plus. Le 7 octobre, j’étais à Ramla en Israël dans ma famille. Je suis toujours là-bas. Je me suis levé à 6 heures pour ouvrir le restaurant de mon père et c’est là que j’ai entendu les sirènes. Tout ce qui s’est passé par la suite est effroyable. J’ai des amis et de la famille à Gaza et certains sont déjà morts. Mais si nous abandonnons, les terroristes auront gagné. Nous ne pouvons le tolérer, nous devons continuer d’espérer.
Qu’est-ce qui vous donne espoir en ces temps difficiles ?
M. Ben David : Mon partenariat avec Jalil me donne de l’espoir. Si un Israélien juif et un Palestinien israélien sont capables d’ouvrir un restaurant en Allemagne et de travailler ici dans la paix et l’amitié, nous pouvons aussi y parvenir ailleurs.
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
M. Dabit : Je suis arrivé à Berlin il y a neuf ans. C’était la ville qu’il me fallait. À l’époque, les prix étaient encore relativement raisonnables, les offres culturelles sont nombreuses et des habitants du monde entier qui exercent toutes les religions possibles vivent ici ensemble. Je me suis donc mis à la recherche d’un partenaire pour vendre du tahini et du houmous et peut-être même ouvrir un jour un restaurant. C’est ainsi que je suis tombé sur Oz.
Étiez-vous alors déjà conscient du message politique que vous transmettriez par ce partenariat ?
M. Ben David : Honnêtement, pas au début. J’ai promis à Jalil que nous mettrions l’accent sur nos plats végétariens et végans et non sur un quelconque message politique. Mais c’est venu naturellement. Nous sommes sans le vouloir devenu un symbole, notre partenariat a toujours incarné quelque chose de plus grand, que nous le voulions ou non. Mais ce ne sont pas nos opinions politiques ou un quelconque message qui nous ont réuni, ce sont notre travail commun, les rendez-vous souvent compliqués auprès des autorités allemandes (rire) et notre amitié.
M. Dabit : Si nous laissions plus souvent place à cette cohabitation et que les personnes en faisant l’expérience étaient plus nombreuses, il apparaîtrait clairement que le quotidien, les petits points communs et les expériences partagées dépassent la vue d’ensemble qui semble nous séparer.
Pourquoi tant de personnes viennent-elles selon vous dans votre restaurant ?
M. Ben David : Elles viennent en raison du message que nous véhiculons, parce qu’elles trouvent que notre histoire est belle...
M. Dabit : ...et surtout parce que nous faisons de la bonne cuisine !
M. Ben David : Oui, la plupart viennent à cause de notre histoire et restent pour la bonne cuisine. Ce qui fait la singularité de notre cuisine, c’est que nous rassemblons le meilleur de différents univers. Notre houmous mêle des recettes israéliennes et palestiniennes. Nous préparons nos falafels selon la méthode du père de Jalil, en utilisant les épices de ma grand-mère. Lorsqu’ils viennent dans notre restaurant, ils se retrouvent tous les deux dans nos plats. Nous ne dérobons donc rien à personne, nous rassemblons des éléments pour en faire quelque chose d’encore meilleur. Parfois, nous servons aussi des pommes de terre en accompagnement, car nous sommes en Allemagne et nous voulons aussi faire honneur aux goûts et traditions germaniques. Nous avons récemment publié ensemble un livre de cuisine qui rassemble nos origines.
Pourquoi avoir justement ouvert ce restaurant en Allemagne ?
M. Ben David : Je trouve que l’Allemagne constitue également un puissant symbole de notre histoire. Ma grand-mère a quitté la Roumanie pour fuir les nazis. Aujourd’hui, son petit-fils vit dans la capitale allemande. Nous essayons de panser ensemble les plaies et nous sommes de nouveau en mesure de vivre côte à côte et de cohabiter. C’est pour moi un signe qu’Israël et la Palestine en sont aussi capables, que leur relation peut guérir. Après toute tragédie, nous sommes confrontés à une décision. Nous pouvons nous laisser porter par la peur ou nous pouvons avoir confiance dans le bien, dans l’humanité. La deuxième option est toujours la plus complexe et la plus risquée. Mais cela en vaut la peine.
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