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Oskar Schindler, itinéraire d’un Juste

L’industriel allemand Oskar Schindler (1908-1974) est décédé il y a 50 ans. Avec sa femme Émilie, il a sauvé la vie de 1 200 juifs promis à la déportation durant la Seconde Guerre mondiale

L’industriel allemand Oskar Schindler (1908-1974) est décédé il y a 50 ans. Avec sa femme Émilie, il a sauvé la vie de 1 200 juifs promis à la déportation durant la Seconde Guerre mondiale, © picture alliance / Everett Collection | CSU Archives/Everett Collection

08.10.2024 - Article

Le film « La liste de Schindler  » a révélé son histoire au monde en 1993. Il raconte comment Oskar Schindler, un industriel allemand, a sauvé 1 200 juifs de la déportation pendant la Seconde Guerre mondiale, au péril de sa vie et de sa fortune. Portrait, 50 ans après sa mort.

Le 9 octobre 1974 mourait Oskar Schindler (1908-1974). Cinquante ans plus tard, son nom est mondialement célèbre. En 1993, le film de Steven Spielberg « La liste de Schindler  » a raconté comment cet industriel allemand a sauvé quelque 1 200 juifs de la déportation pendant la Seconde Guerre mondiale. Le Mémorial de l’Holocauste Yad Vashem, à Jérusalem, a conféré à Oskar Schindler le titre de Juste parmi les nations en 1967, puis à son épouse Émilie en 1993. Mais derrière le héros, le modèle d’humanité et de courage, on en sait généralement peu sur l’homme. Qui était Oskar Schindler ? Pourquoi a-t-il agi comme il l’a fait ? Et qu’est-il devenu après la guerre ?

Jeune loup opportuniste

Né le 28 avril 1908 à Svitavy (à l’époque Zwittau), en Moravie, dans l’actuelle République tchèque, Oskar Schindler grandit dans une famille catholique de la bourgeoisie germanophone des Sudètes. Ingénieur de formation, il suit les traces de son père en devenant entrepreneur. Comme beaucoup de jeunes gens de sa région, il est nationaliste. En 1938, il est embauché comme agent des services de renseignements allemands, dirigés par l’amiral Wilhelm Canaris. Découvert, il est emprisonné et condamné à mort pour haute trahison. L’annexion des Sudètes par le Reich le sauve.

À l’automne 1939, après l’invasion de la Pologne par l’Allemagne nazie, ce jeune loup ambitieux rejoint Cracovie occupée. Comme beaucoup, il espère profiter des circonstances pour s’enrichir rapidement. La main-d’œuvre du ghetto, persécutée, est employée pour une bouchée de pain. Oskar Schindler prend la gérance d’une usine de fabrication de vaisselle pour la Wehrmacht. Son commerce se développe rapidement. Fin 1942, il emploie 800 personnes, dont 370 juifs.

Comme le montre une exposition actuellement présentée au musée allemand des Sudètes, à Munich («  Oskar Schindler, Bon vivant et sauveur de vies », à voir jusqu’au 27 octobre), ce n’est pas un saint. Il aime la vie et les plaisirs : vins, femmes, jeux, train de vie dépensier, etc. Il s’acoquine avec de nombreux hauts fonctionnaires nazis, hauts gradés de la Wehrmacht et officiers SS. Il a lui-même pris sa carte au parti nazi, le NSDAP, en 1938. Une chose le différencie toutefois des autres profiteurs de guerre : il traite bien ses salariés, en particulier les juifs.

Dégoût

À mesure que la pression s’accentue sur la population juive, un changement s’opère en lui. Sa résistance au régime nazi n’est pas idéologique. Il est pris d’un dégoût, d’un sentiment d’horreur devant la cruauté absurde que les nazis déchaînent pour persécuter une population juive sans défense. Peu à peu, l’opportuniste en quête de profits rapides n’a plus qu’un objectif en tête : sauver le plus grand nombre possible de « ses » juifs des griffes des nazis.

Oskar Schindler use pour ce faire de ses contacts et de son statut privilégié de directeur d’une usine « de production de biens essentiels à la guerre ». En mars 1943, quand la liquidation du ghetto de Cracovie provoque le transfert des juifs dans le camp de travail de Plaszow et détériore leur situation, il obtient du commandant du camp Amon Göth l’autorisation de faire construire son propre camp de travail pour héberger ses employés juifs et leurs familles. Ils y jouissent de conditions de vie bien meilleures, d’autant que Schindler achète lui-même des vivres au marché noir. Ils sont aussi protégés de la violence et de l’arbitraire des gardes SS, qui ne peuvent pas entrer dans le camp attenant à l’usine. Schindler finance ce dernier lui-même, y compris l’approvisionnement.

Au péril de ses biens et de sa vie

Original de la liste de Schindler, conservée au Mémorial de l’Holocauste Yad Vashem, à Jérusalem
Original de la liste de Schindler, conservée au Mémorial de l’Holocauste Yad Vashem, à Jérusalem © picture alliance / dpa | Jim Hollander
L’industriel prend des risques, pour ses biens et pour sa vie. Lorsque la SS veut déporter ses employés juifs à Auschwitz, il parvient à obtenir un règlement d’exception. Il n’hésite pas non plus à falsifier les listes de travailleurs qu’il établit. Des femmes, des enfants, des avocats sont présentés comme mécaniciens de précision qualifiés ou ouvriers métallurgistes. Oskar Schindler protège aussi les personnes sans qualification et les invalides.

Il est plusieurs fois arrêté et interrogé par la Gestapo, qui lui reproche des irrégularités et des faveurs envers les juifs. Cela ne le décourage pas. En novembre 1943, il entreprend un voyage très risqué à Budapest sur invitation du Joint Distribution Committee, la principale organisation d’aide juive. Il informe cette dernière de la grave situation des juifs polonais.

Fin 1944, devant la progression de l’Armée rouge, il faut évacuer Plaszow. Quand Schindler reçoit l’ordre d’évacuation, il se tourne vers le département compétent du commandement en chef de la Wehrmacht, et obtient l’autorisation officielle de transférer ses affaires à Brünnlitz, dans les Sudètes, avec tout son personnel et d’autres habitants du camp. Mais le transfert ne se passe pas comme prévu : les employés sont envoyés vers les camps de Groß-Rosen et d’Auschwitz. Schindler parvient à faire libérer les 800 hommes de Groß-Rosen et les 300 femmes d’Auschwitz.

En janvier 1945, Oskar Schindler parvient encore à sauver 120 juifs enfermés dans un wagon à bestiaux sans eau, ni nourriture en provenance de Goleszow, un camp externe d’Auschwitz. Il assure le commandant SS qu’il a immédiatement besoin de cette main-d’œuvre, et obtient gain de cause. Il enterre les prisonniers morts du wagon selon le rite juif et soigne les survivants.

Entre l’Allemagne et Israël

Après la guerre, Oskar Schindler, membre du NSDAP, sera ruiné et soumis à la dénazification. Mais les témoignages de ses protégés permettront que toute procédure soit abandonnée en 1947. L’industriel ne parviendra toutefois jamais à retrouver une situation personnelle et professionnelle confortable. Sans moyens financiers, il recevra l’aide d’organisations juives pour émigrer en Argentine et démarrer un élevage de ragondins avec son épouse à 50 kilomètres au sud de Buenos Aires. Mais il rentrera, seul, en Allemagne, en 1958, après l’échec de l’entreprise. Il utilisera alors les dommages de guerre qui lui sont accordés pour reprendre une entreprise de béton, mais sans rencontrer le succès.

En 1962, il se rend pour la première fois en Israël. Plusieurs centaines de juifs qu’il a protégés durant la guerre viennent l’accueillir. Il partagera dorénavant sa vie entre l’Allemagne et Israël. Victime d’une crise cardiaque fin 1973, il meurt le 9 octobre 1974. Il est enterré, selon sa volonté, au cimetière catholique du Mont Sion, à Jérusalem.

Né de parents sauvés par Oskar Schindler, le publiciste allemand Michael Friedmann témoigne avoir connu un homme « surprenant et convaincant dans sa simplicité ». Ce n’était pas un intellectuel, ni un homme cultivé, explique-t-il. Il buvait et il aimait les femmes. Mais contrairement aux « moralistes », dit M. Friedman, il a mis sa vie en danger pour aider d’autres gens. Il a ainsi montré que c’était possible, même sous le régime nazi.

En 1998, lors d’une cérémonie à la mémoire des victimes de l’Holocauste au Bundestag, l’historien israélien Yehuda Bauer, a lui aussi évoqué la mémoire d’Oskar Schindler. Il s’est demandé pourquoi l’industriel avait pris autant de risques pour sauver des juifs. Il a eu ces mots : « Il n’était pas obligé de le faire. Mais il l’a fait. Pourquoi ? Parce que c’était un être humain ».
A.L.

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