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Aube ou crépuscule : à Bonn, les artistes face aux bouleversements du monde

Emma Talbot, « Fluid Lovers », 2018, Tissu, papier mâché, technique mixte. Avec l’aimable autorisatio de l’artiste et de la galerie Petra Rinck

Emma Talbot, « Fluid Lovers  », 2018, Tissu, papier mâché, technique mixte. Avec l’aimable autorisatio de l’artiste et de la galerie Petra Rinck, © Emma Talbot

02.11.2023 - Article

La révolution industrielle hier, le changement climatique et l’épuisement des ressources aujourd’hui : comme il y a un siècle, l’humanité vit une période de grands bouleversements. Comment les artistes y réagissent-ils ? C’est le thème d’une exposition à Bonn.

Il est des périodes qui bousculent, font vaciller les repères, questionnent notre identité. Qui peut nier que c’est ce que beaucoup ressentent en cette année 2023 ? Changement climatique, épuisement des ressources, pandémie, guerre en Ukraine, crise inflationniste, attaque du Hamas, crainte d’un embrasement du conflit israélo-palestinien, voire d’une guerre mondiale : le monde traverse une profonde transformation. Elle rappelle une mutation tout aussi profonde qui s’est produite il y a un siècle. Comme aujourd’hui, les artistes de la Modernité classique avaient reflété ces bouleversements. Une exposition au musée d’art de Bonn fait dialoguer les deux époques. Avec profit.

De 1913 à 2023

Alexej von Jawlensky, „Helene au turban bleu“, 1911, Huile sur carton, Prêt permanent issu d’une collection privée
Alexej von Jawlensky, « Helene au turban bleu », 1911, Huile sur carton, Prêt permanent issu d’une collection privée© Musée d’art de Bonn, Photo : David Ertl

Le musée a mis en présence 41 œuvres des années 1900-1920 et 38 travaux contemporains. Ces toiles, dessins, graphiques, sculptures, vidéos et installations sont signés August Macke, Max Liebermann, Käthe Kollwitz, Wilhelm Lehmbruck, Max Ernst, Alexej von Jawlensky, Louisa Clement, Heinrich Campendonk, Monica Bonvici, Nevin Aladag ou Francis Alÿs, entre autres. Il s’agit moins d’une confrontation que d’une conversation. Elle fait ressortir de nombreux parallèles et convergences entre les deux époques. Elle montre les différences et les évolutions. Et elle invite à considérer la question de la perspective, de l’angle de vue, de la focale, ouvrant de nouveaux champs possibles d’analyse et d’action.

L’exposition tente d’illustrer la manière dont les artistes interrogent le monde et leur époque. Une question surgit en toile de fond : les scénarios d’apocalypse que nous nous construisons, du « Déclin de l’Occident » prédit par Oswald Spengler en 1918 au mouvement Extinction Rebellion, ne sont-ils pas l’expression d’une forme de complaisance ? Le pire est-il sûr ? Le renouveau ne frappera-t-il pas à notre porte, une fois nos peurs domptées ?

« Et si ce verbiage apocalyptique ne nous apportait finalement rien, et nous nuisait au contraire ? », s’interroge l’hebdomadaire Die Zeit en écho à l’exposition. « La peur du crépuscule n’est peut-être que la vieille peur humaine du changement. Et le crépuscule de l’humanité n’est pas le déclin mais la vision d’une aube. »

Dialogue entre artistes à un siècle de distance

De fait, le titre de l’exposition fait directement référence à l’ambiguïté qui caractérise les périodes de crise. « Menschheitsdämmerung  » peut se traduire par « Crépuscule de l’humanité ». Mais aussi par « Aube de l’humanité ». Car, souligne la commissaire de l’exposition, Stephanie Kreuzer, l’allemand utilise un même terme, « Dämmerung », pour désigner aussi bien l’aube que le crépuscule, contrairement au français et à l’anglais.

Helmuth Macke, « Moulin à eau détruit près d’Hermeville », 1916, aquarelle sur papier
Helmuth Macke, « Moulin à eau détruit près d’Hermeville », 1916, aquarelle sur papier© Musée d’art de Bonn, Photo : David Ertl

De plus, le terme « Menschheitsdämmerung » renvoie au titre d’un recueil de poèmes publié en 1919 par l’écrivain allemand Kurt Pinthus. Il rassemblait des œuvres de grands noms de l’expressionnisme (Else Lasker-Schüler, Gottfried Benn, Georg Trakl, Franz Werfel, Georg Heym, entre autres) et se déclinait en quatre chapitres : « Chute et cri » (Sturz und Schrei), « Réveil du cœur » (Erweckung des Herzens), « Soulèvement et révolte » (Aufruhr und Empörung), « Aime l'homme » (Liebe den Menschen). Le parcours de l’exposition reprend comme un programme les grandes orientations fixées par ces chapitres pour organiser le dialogue entre hier et aujourd’hui.

Outre l’œuvre « Weltuntergang  » (litt. : Fin du monde,1913) du peintre August Macke, très présent, on découvre, par exemple, l’avatar de Louisa Clement. L’artiste allemande l’a créé à partir de toutes les données disponibles à son sujet sur Internet. Elle l’a programmé grâce à l’intelligence artificielle pour en faire un chatbot assis dans un fauteuil. Le visiteur peut s’asseoir à ses côtés. Il fait face à un « Autoportrait » et à une « Mère avec son enfant » de Käthe Kollwitz. Point commun entre les deux artistes : la représentation de son propre corps est utilisée pour refléter les grandes questions sociétales.

Toutefois, c’est peut-être l’artiste belge Francis Alÿs qui résume le mieux l’ambivalence du moment de la crise. Le lauréat 2023 du Prix Wolfgang Hahn de la Société d’art moderne de Cologne a monté trois petites toiles sur un miroir qui emplit tout un mur. Elles représentent les catastrophes naturelles contemporaines : la fonte des pôles, une tornade et l’incendie de la forêt tropicale. Mais il suffit de retourner la toile pour voir un autre versant de la réalité : un avenir tissé de scénarios positifs, des animaux qui jouent les uns avec les autres, etc. Le dépassement des scénarios anxiogènes pour l’avenir par un changement de perspective.

A.L.

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