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Caspar David Friedrich : le peintre du silence

Coup d’œil sur l’exposition à la Kunsthalle de Hambourg

Coup d’œil sur l’exposition à la Kunsthalle de Hambourg, © picture alliance/dpa/Lukas Schulze

10.01.2024 - Article

Artiste mal compris, acclamé, oublié : à l’occasion du 250e anniversaire de sa naissance, Caspar David Friedrich est remis à l’honneur avec pas moins de trois expositions.

Si petit qu’on le distingue à peine, un homme se tient seul au bord de la mer et contemple les vagues noires. Sombre et menaçant, le ciel est comme suspendu au-dessus de l’horizon. Seule lueur d’espoir : le gris se transformant en un bleu ciel délicat dans un coin de la toile. Ces plans de couleur horizontaux, presque abstraits, sont d’une modernité inouïe. Ils sont l’œuvre de Caspar David Friedrich qui les a peints entre 1808 et 1810, soit un peu plus de 100 ans avant l’avènement de l’ère moderne dans l’art. « Le moine au bord de la mer » est aujourd’hui exposé à l’Alte Nationalgalerie de Berlin.

Que pouvait bien voir dans ce motif Caspar David Friedrich, ce pieux protestant, dont la sœur et le père avaient trouvé la mort juste avant qu’il ne commence à travailler sur le tableau ? La même chose que beaucoup d’entre nous aujourd’hui ? À savoir, un homme à la merci des forces de la nature, partagé entre l’espoir et l’effondrement ? Dans les peintures silencieuses de Friedrich, chacun perçoit probablement quelque chose de différent, et il en a toujours été ainsi. Une chose est sûre : cette œuvre n’avait absolument rien à voir avec la peinture de paysage alors en vogue au 19e siècle. Unique et éminemment personnelle, elle marqua peut-être la rupture qui permit la naissance de l’art moderne.

La nature, un motif central des tableaux de Caspar David Friedrich

Dans ses autres œuvres non plus, Caspar David Friedrich ne s’est pas contenté de reproduire ce qu’il voyait. Dans ce qui s’apparente à des collages sur huile, il a ré-agencé sur la toile des fragments de la réalité (arbres, collines, rochers et nuages qu’il dessinait dans son carnet de croquis au cours de ses promenades dans la nature) dans une perspective et une disposition différentes, avec une lumière particulière. Pour C.D. Friedrich, « le peintre ne doit pas seulement peindre ce qu’il voit devant lui, mais aussi ce qu’il voit en lui. » Ses personnages sont toujours présentés de dos. Dans sa biographie best-seller « Zauber der Stille  » (« La magie du silence »), parue en 2023, l’expert en art Florian Illies écrit que C.D. Friedrich, le maître de l’observation de la nature et de son intériorisation émotionnelle, n’arrivait tout simplement pas à peindre de personnages et de visages. Il se peut aussi que Friedrich ait simplement voulu que nous, observateurs, regardions le tableau et le monde qu’il a créés comme le font ses personnages et que nous nous appropriions leur perspective.

Le long parcours de l’artiste le plus emblématique du romantisme allemand

Caspar David Friedrich était guidé par la recherche d’une expérience spirituelle de la nature et la question de la solitude de l’individu. « Le Moine au bord de la mer », ses « Falaises de craie sur l’île de Rügen », « Le Voyageur contemplant une mer de nuages » ou « La Mer de glace » destructrice et traversée par une sourde violence : Si toutes ces œuvres sont aujourd’hui des icônes du Premier romantisme et font partie de la mémoire collective de l’histoire de l’art allemand, il n’en a pas toujours été ainsi.

Caspar David Friedrich, né en 1774 à Greifswald au bord de la mer Baltique et décédé en 1840 à Dresde, a certes connu le succès de son vivant et le roi de Prusse a même acheté pour son fils « Le Moine au bord de la mer ». Pourtant, à peine une décennie plus tard, les motifs souvent mélancoliques, sombres et mystérieux, l’aura inquiétante de la nature ne correspondaient plus au goût de l’époque. Même Goethe, auteur que Friedrich vénérait, avait dénigré sa peinture de manière peu élégante. Avant même sa mort, le peintre fut oublié du monde. Nombre de ses tableaux, y compris le « Voyageur » et les « Falaises de craie », ne furent pas exposés pendant très longtemps et même perdus.

Une œuvre détournée par la propagande nazie

Ce n’est qu’au début du 20e siècle que l’art de Caspar David Friedrich a été redécouvert. Quelques années plus tard, les nazis virent dans ses œuvres quelque chose de « nordique », de « germanique », qu’ils utilisèrent à des fins de propagande.

Ce n’est qu’en 1974, à l’occasion du 200e anniversaire de sa mort, que les tableaux de Friedrich furent pour la première fois présentées lors d’une grande exposition. Dans l’Allemagne à l’époque divisée, la Kunsthalle de Hambourg et les Collections nationales de Dresde s’étaient associées pour une coopération exceptionnelle par-delà le Rideau de fer. Et Caspar David Friedrich, ainsi réhabilité, est finalement devenu la « superstar » du romantisme. Ses toiles ont fait l’objet de nouvelles recherches et été réinterprétées : Friedrich, l’artiste politique qui soutenait les combats contre Napoléon au nom de la liberté, a ainsi été mis en lumière. Certains voient même aujourd’hui dans cet amoureux de la nature, réservé et sans doute un peu excentrique, le premier défenseur du climat. Quoi qu’il en soit, son art aborde des thèmes intemporels, suscite des émotions et a toujours inspiré d’autres artistes, hommes et femmes confondus.

Trois expositions pour le 250e anniversaire de sa naissance

En cette année du 250e anniversaire de sa naissance, chacun et chacune peut se faire sa propre opinion à propos du « peintre du silence » : trois grandes expositions sont consacrées en 2024 à cet artiste romantique, chacune offrant une perspective différente. La Kunsthalle de Hambourg se penche ainsi sur la relation entre l’homme et la nature dans l’œuvre de Friedrich. L’Alte Nationalgalerie de Berlin présente pour sa part le rôle que le musée a joué dans la redécouverte des tableaux de Friedrich sous l’Empire. Quant aux Collections nationales de Dresde, elles explorent la manière dont cette ville, où l’artiste a vécu pendant plus de 40 ans, a influencé son œuvre. Grâce à un site Internet commun aux trois musées, le monde entier peut aujourd’hui découvrir les œuvres de Caspar David Friedrich.

© deutschland.de

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