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Hannah Arendt, une vie d’exil
Sa pensée est toujours d’actualité : Hannah Arendt (1906-1975), © picture alliance/dpa
Hannah Arendt était l’une des plus grandes penseuses politiques. Ses œuvres témoignent de l’importance de s’engager en faveur de la démocratie et des droits humains.
En 1961, Hannah Arendt, alors journaliste à New York, se rend à Jérusalem pour couvrir le procès contre le criminel nazi Adolf Eichmann. Dans la salle de spectacle avec scène et gradins de Beit Ha’am transformée pour l’occasion en salle d’audience, elle observe l’homme à l’allure frêle, portant des lunettes et un costume s’avancer, en silence, vers le box des accusés. L’ancien officier SS Eichmann était l’une des principales figures de l’Holocauste et responsables de l’assassinat de six millions de personnes en Europe. Le procès à son encontre fait le tour du monde. Dans une lettre à son ancien professeur et directeur de thèse, Karl Jaspers, elle écrit : « Je ne me serais jamais pardonnée de ne pas y être allée. »
Une enfance dans l’ombre d’une disparition
Née le 14 octobre 1906 à Hanovre dans une famille juive laïque, Hannah Arendt grandit dans un milieu instruit. Son père, ingénieur et amateur de lettres, possède une bibliothèque remplie de classiques grecs et latins tandis que sa mère a étudié le français et la musique à Paris. Le père tombe gravement malade et la famille retourne à Königsberg, ville d’origine des parents alors située dans la Prusse-Orientale. Son père décède en 1916. Dans ses écrits autobiographiques, Hannah Arendt se souvient s’être sentie souvent abandonnée pendant cette période, même par sa mère qui part, endeuillée, pour de longs voyages en laissant Hannah chez ses grands-parents. En même temps, la mère apprend à sa fille à se protéger : si elle entendait des commentaires antisémites en classe, Hannah devait se lever, quitter la pièce et tout raconter à la maison. Finalement, en 1924, Hannah Arendt débute ses études de philosophie. « La philosophie était une évidence depuis mes 14 ans », déclare-t-elle dans un entretien télévisé au milieu des années 60. Selon ses termes, « Il était impératif de comprendre », de « penser sans garde-fous ». Elle étudie d’abord auprès de Martin Heidegger à Marbourg puis auprès de Karl Jaspers à Heidelberg.
Le choc de 1933 et le chemin de l’exil
Le soir du 27 février 1933, un mois après la nomination d’Adolf Hitler au poste de chancelier, le Reichstag, à Berlin, prend feu – un incendie que le NSDAP, le parti nazi, utilise en sa faveur. Le décret de l’incendie du Reichstag (« Reichstagsbrandverordnung ») lui permet d’abroger des libertés fondamentales et ouvre la voie à un régime dictatorial. « Ce qui se mit alors en marche était monstrueux. Ce fut pour moi un choc immédiat et c’est à partir de ce moment-là que je me suis sentie responsable », se rappelle Hannah Arendt.
On pourrait dire en effet que l’humanité vivante d’un homme décline dans la mesure où il renonce à la pensée.
- Hannah Arendt, « Menschen in finsteren Zeiten » (« Vies politiques ») (1968)
Elle se fait arrêter par la Gestapo à l’été 1933 à Berlin en raison de son engagement pour les opposants politiques. Elle échappe pourtant à la prison grâce à un officier SS avec lequel elle se lie d’amitié au cours de ses interrogatoires. Elle et sa mère prennent ensuite la fuite par la frontière verte, c’est-à-dire à travers champs et forêts, vers la Tchécoslovaquie puis gagnent Paris.
Une vie d’exil et le combat contre le totalitarisme
En exil à Paris, Hannah Arendt donne des conférences sur l’antisémitisme et travaille pour une organisation qui aide les jeunes juifs à partir pour la Palestine. Mais la Seconde Guerre mondiale éclate et elle n’est plus en sécurité en France. En 1941, elle fuit à nouveau, cette fois aux États-Unis. « Sommes sauvés », envoie-t-elle par télégramme à son ex-époux Günther Anders qui vit déjà à New York. Avec sa mère et son second mari, Heinrich Blücher, Hannah Arendt s’installe dans un petit appartement dans le quartier de Manhattan et commence une carrière d’essayiste et de lectrice. Son ouvrage « Les Origines du totalitarisme » publié en 1951, qui établit des parallèles entre le national-socialisme et le stalinisme, la fait connaître dans le monde entier.
Le procès Eichmann et la banalité du mal
En 1961, quand Hannah Arendt, envoyée par la revue « The New Yorker », arrive à Jérusalem, elle s’attend à voir un monstre arriver à l’audience. Or, c’est une tout autre impression que lui fait le principal organisateur de l’Holocauste : « L’ennui, avec Eichmann, c’est précisément qu’il y en avait beaucoup qui lui ressemblaient et qui n’étaient ni pervers ni sadiques, qui étaient, et sont encore, terriblement et effroyablement normaux. », écrit-elle. Cette analyse de la « banalité du mal », dont elle fait un livre publié en 1964, lui vaut des critiques. D’aucuns lui reprochent de minimiser l’Holocauste. Mais Hannah Arendt veut montrer que le mal est rarement le résultat d’une extrême méchanceté, mais qu’il résulte plutôt de l’incapacité à penser par soi-même.
Le plus terrifiant, c’était sa normalité.
- Hannah Arendt dans son compte-rendu sur Adolf Eichmann
Hannah Arendt décède le 4 décembre 1975 à New York. Son message reste intemporel : chaque être humain est appelé à remettre en question les lois et à s’engager pour la dignité humaine et la démocratie. Aujourd’hui, l’Initiative Hannah Arendt qui porte son nom soutient mondialement les journalistes menacés dans l’exercice de leur important métier. Ce réseau d’organisations de la société sociale est financé par le ministère allemand des Affaires étrangères.
© Traduction : deutschland.de / Révision : Ambassade d’Allemagne