« Qu’est-ce que les Lumières ? » Le premier à poser la question fut le pasteur berlinois Johann Friedrich Zölner dans une revue en 1783. Elle fut reprise par Emmanuel Kant l’année suivante dans un célèbre essai, ou encore par le philosophe Moses Mendelssohn. Aujourd’hui, c’est au tour du Musée historique allemand (DHM) de Berlin de s’en emparer. À l’heure de la recrudescence de mouvements antimodernes et de la multiplication des crises, il propose de redécouvrir la réalité de ce siècle bouillonnant. Et de faire dialoguer notre époque avec ce berceau de la modernité.

Ce que le 18^e siècle a à nous apprendre

« La question ‘Qu’est-ce que les Lumières ?’ demeure actuelle », a souligné lors de l’inauguration Claudia Roth, ministre fédérale adjointe à la Culture. « Car la réponse apportée par Emmanuel Kant reste un défi lancé aux despotes, aux autocrates et aux populistes de droite. […] Cette exposition arrive au bon moment : elle montre ce que nous pouvons apprendre du 18^e siècle, pour pouvoir constituer aujourd’hui une bonne société, libre et équitable ».

Objets rares

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L’exposition présente sur deux étages près de 400 toiles, dessins, gravures, sculptures, modèles réduits, moulages, documents, publications, pièces de monnaies et appareils scientifiques. Ils viennent d’Allemagne, de France, de Belgique, de Grande-Bretagne, d’Autriche, des États-Unis et de Suisse.

Certains représentent des pièces très rares, encore jamais exposées. On découvre notamment des manuscrits du physicien Isaac Newton, un microscope en argent du roi d’Angleterre George III, une version de la Déclaration des droits de l’Homme française présentée sous forme d’oblat, un œuf d’autruche gravé extrêmement rare et une robe de bal française brodée d’aéronefs.

Exigences et contradictions

L’un des enseignements de l’exposition est le caractère ambivalent de l’époque des Lumières, aujourd’hui volontiers oublié. « Les Lumières, en tant qu’époque [historique] […] comme en tant qu’étiquette commune pour des idées philosophiques, sont pétries de contradictions et de problèmes », souligne Liliane Weissberg, commissaire de l’exposition.

Les idées d’égalité et de tolérance du 18^e siècle, par exemple, ne correspondent pas à nos concepts contemporains. Souvent, elles n’étaient pas mises en pratique. La Révolution française a mis en avant les droits du citoyen. Mais ils ne concernaient pas les femmes. Quant au cosmopolitisme du 18^e siècle, il voisinait avec le colonialisme.

« Nombre de ses représentants voulaient construire un monde nouveau, et ils ont échoué », explique Mme Weissberg. « Pour les philosophes du 20^e et du 21^e siècle, les Lumières avec toutes leurs ambivalences ont représenté le début de ce que nous appelons la modernité. » Pour la commissaire, il importe « aujourd’hui de comprendre deux choses : d’une part beaucoup des exigences formulées au 18^e siècle, doivent rester valables pour nous si nous voulons vivre dans un pays démocratique. De l’autre, les problèmes de cette époque [le 18^e siècle, ndlr] déterminent notre façon contemporaine de penser et d’agir. » Ces thèses sont un peu le programme de l’exposition, ajoute-t-elle.

L’un des défis était de faire comprendre des questions philosophiques par la vue et l’ouïe. Le Musée historique allemand relève. Il commence par un prologue qui définit les Lumières, puis aborde différentes thématiques selon le principe du kaléidoscope : la quête du savoir, l’émergence de nouvelle disciplines scientifiques, la religion, l’égalité et la liberté, la revendication des droits du citoyen, le mercantilisme, le cosmopolitisme, etc.

Des interviews filmées avec des personnalités contemporaines (historiens, scientifiques, journalistes, philosophes) permettent de mieux comprendre les ponts entre notre époque et celle de Kant.

A.L.