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« Le cinéma peut permettre de se reconstruire »
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Soleen Yusef est scénariste et réalisatrice, © Peter Müller Photography
Soleen Yusef, germano-kurde, est établie depuis longtemps dans le monde du cinéma allemand et elle décerne à présent le prix du film Amnesty International en tant que membre du jury.
Elle souhaite évoquer des sujets politiques, attirer l’attention sur les groupes marginalisés et sensibiliser aux fléaux sociaux. Et elle a trouvé son propre mode d’expression ; Soleen Yusef est scénariste et réalisatrice de fiction et elle s’est notamment fait connaître en Allemagne et au-delà par des œuvres telles que la série « Skylines » sur Netflix, « Sam : Un Saxon » et le film pour enfants « Gagnantes ». Lors de la Berlinale 2025, elle fait partie du jury du prix du film Amnesty International, qui récompense des productions traitant de la thématique des droits humains. La cinéaste germano-kurde, qui a fui avec sa famille à l’âge de neuf ans les territoires kurdes du nord de l’Iraq pour rejoindre l’Allemagne, parle dans cette interview de son rôle au sein du jury ainsi que de la force du cinéma.
Madame Yusef, dans quelle mesure est-il important de traiter aussi dans les films de la thématique des droits humains ?
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Outre son rôle classique de divertissement, le cinéma doit selon moi également attirer l’attention sur les fléaux sociales ou politiques et réaliser un travail pédagogique. Il est essentiel d’inciter à la réflexion, d’élargir son horizon. À une époque où la discrimination prend de l’ampleur et où les droits des femmes passent à l’arrière-plan, nous sommes en mesure d’offrir une place au dialogue. C’est aussi pourquoi le prix du film Amnesty International est si important. Nous pouvons donner une impulsion significative en faveur du changement au sein de la société, lancer un processus d’apprentissage et c’est un honneur pour moi d’avoir l’opportunité de faire partie du jury du prix du film Amnesty International. Mais j’aimerais avant toute chose voir ces films tout simplement.
Il y a de nombreux films dont la force va au-delà du divertissement.
Soleen Yusef, scénariste et réalisatrice.
Pourquoi les films et les séries sont particulièrement adaptés au traitement de ce sujet ?
Les films nous permettent de toucher une toute autre forme de grand public. Il s’agit d’une forme d’art qui nous permet de nous sentir chez nous pendant une heure trente à deux heures, bien loin des images de propagande ou des courants politiques. Au cours de mes premières années dans la profession, j’ai passé de nombreuses heures dans des festivals, j’ai vu beaucoup de films ambivalents et écouté ainsi des voix du monde entier, avant de travailler dans une société de production de films spécialisée dans les films de la région MENA. Ceux-ci traitaient souvent de thématiques liées à la guerre. Le cinéma peut permettre de se reconstruire et il y a de nombreux films dont la force va au-delà du divertissement. C’est une force qui est encore souvent sous-estimée en Allemagne.
Qu’est-ce qui est particulièrement important pour vous dans vos projets ?
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Je veux raconter des histoires ancrées dans un contexte politique et parler de sujets qui comptent pour la société. Je cherche à renforcer les voix opprimées et à stimuler un débat de société, voire, dans le meilleur des cas, à insuffler une transition. J’aimerais évoquer des destins personnels de manière aussi riche que possible, présenter des histoires de façon authentique et plonger dans la personnalité des personnages, afin de leur faire honneur. Mes films permettent de bâtir des ponts, ils servent d’intermédiaire entre les différents univers. Le cinéma est un lieu de rencontre, de nostalgie et d’espoir. Dans le même temps, il est essentiel pour moi de ressortir plus forte de mes projets, ils doivent me lancer un défi. Il s’agit là d’un fil rouge qui apparaît dans mes projets, comme dans mon film « Sam : Un Saxon » qui traite de la réalité des Afro-Allemands dans l’est de l’Allemagne. C’est un sujet qui n’est pratiquement pas thématisé jusqu’à présent. Il est pour moi extrêmement important de contribuer par mon travail à un débat sur l’identité et la justice.
Le monde du cinéma prend de l’ampleur dans de nombreux pays arabes. Quel potentiel de coopération voyez-vous entre l’Allemagne et le monde arabe ?
Il s’agit d’un univers qui reste à découvrir, riche en voix narratives. Le monde arabe est sous-estimé dans ce domaine. Je me suis souvent rendue au festival international du film de Doubaï. C’est fou combien les jeunes talents y sont encouragés. La mise en place de coopérations pourrait nous permettre de traiter de sujets critiques ensemble, des thèmes qui nous concernent tous, comme l’exploitation et le capitalisme. Le cinéma du monde arabe n’est pas très représenté chez nous, car nous sommes très centrés sur l’Europe ou sur le monde occidental dans ce domaine. Notre vision du monde au-delà de cette zone s’est ainsi mal développée. Il est temps de réparer ces erreurs et de puiser le potentiel : plus de diversité et de nouvelles histoires. Nous avons manqué l’occasion de nous retrouver ici dans un échange en matière de production.
Qu’attendez-vous de l’avenir du cinéma allemand ?
Une plus grande diversité. J’aimerais que la diversité et les thématiques pertinentes jouissent à l’avenir d’une meilleure promotion. Le cinéma reste un lieu de divertissement, de rêve, d’espoir et de grandes émotions. Nous avons en même temps la possibilité de sensibiliser et de promouvoir un dialogue inclusif qui prend en compte d’autres perspectives et représente différentes réalités du quotidien.
© deutschland.de / Traduction : Ministère fédéral des Affaires étrangères