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Günter Grass, un grand vivant aux mille facettes

L’écrivain Günter Grass (1927-2015), mort il y a 10 ans : une personnalité aux talents multiples.

L’écrivain Günter Grass (1927-2015), mort il y a 10 ans : une personnalité aux talents multiples, © picture-alliance / Sven Simon | ANKE FLEIG / SVEN SIMON

11.04.2025 - Article

Il y a dix ans, le 13 avril 2015 s’éteignait l’écrivain Günter Grass, intellectuel engagé, conscience morale et Prix Nobel de littérature. Que reste-t-il de cette personnalité hors du commun ? Un portrait.

Personne n’a oublié ses yeux perçants, sa moustache, sa pipe et son goût du débat. Il y a dix ans, le 13 avril 2015 s’éteignait le Prix Nobel de littérature Günter Grass. Conteur brillant, intellectuel engagé, conscience morale de la République fédérale : il était à la fois une grande voix de la littérature allemande de l’après-guerre et une figure incontournable de la vie intellectuelle. Quel est son héritage ? À Lübeck (nord de l’Allemagne), sa patrie d’adoption, la Maison Günter Grass invite à une plongée intime dans son univers. Aux côtés de ses romans, de ses poèmes et de ses nombreuses contributions aux débats de société, elle révèle un personnage aux multiples facettes.

Un enfant de la guerre

Günter Grass est né le 16 octobre 1927 à Danzig (aujourd’hui Gdansk, en Pologne) dans une famille de commerçants. Il a fait partie de cette génération d’Allemands qui a grandi sous le nazisme et été marquée par la guerre. À 15 ans, il se porte volontaire pour rejoindre la Wehrmacht. Il devient auxiliaire au sein de la Luftwaffe. Puis, à l’automne 1944, à 17 ans, il rejoint une division blindée des Waffen SS, avant d’être fait prisonnier par l’armée américaine.

Il a avoué avoir cru jusqu’au bout à la victoire du Reich, et ne pas avoir cru les informations qui circulaient sur les camps de concentration. Mais il a attendu l’âge de 79 ans pour révéler son passé dans la SS. Dans son autobiographie, Pelure d’oignons, en 2006, il a dit la honte qui l’avait poursuivi toute sa vie. Elle est sans doute l’une des clés de son œuvre.

Le passé allemand

La machine à écrire de la marque Olivetti sur laquelle Günter Grass a écrit son œuvre phare , « Le tambour »
La machine à écrire de la marque Olivetti sur laquelle Günter Grass a écrit son œuvre phare , « Le tambour » © picture alliance/dpa | Daniel Reinhardt

Dans les années 1950, Günter Grass écrit de la poésie, de courts textes en prose et du théâtre. En 1958, il reçoit le Prix de l’influent groupe d’écrivains Gruppe 47 pour le manuscrit de son premier roman, Le Tambour, qui n’est pas encore publié. Il le sera l’année suivante et deviendra rapidement un succès mondial.

Le Tambour annonce le grand thème de l’œuvre de Günter Grass : le passé allemand. Son héros, Oskar Matzerath décide, à l’âge de trois ans, d’arrêter de grandir. Il se met à observer le monde avec ses yeux d’enfant, pendant la guerre et l’après-guerre.

Le livre contient une critique de la petite bourgeoisie allemande qui s’est laissée séduire par le nazisme. Représentant de la génération d’écrivains qui éclot pendant la période de la reconstruction d’après-guerre, Günter Grass demande à ses contemporains de dévoiler leur passé. Vingt ans après le roman, son adaptation magistrale au cinéma vaudra au réalisateur Volker Schlöndorff la Palme d’or du Festival de Cannes, puis un Oscar à Hollywood.

Un conteur d’exception

Ce premier roman sera suivi par beaucoup d’autres (Le Turbot, La Ratte, L’Appel du combattant, Le journal d’un escargot). Il réunit déjà les ingrédients qui ont fait de Günter Grass un grand conteur : le foisonnement du style, sa qualité, les influences du roman picaresque, du baroque et de l’expressionnisme. L’écrivain turc Orhan Pamuk voyait en Günter Grass « un élève de Rabelais et de Céline », « quelqu’un qui a pris part de manière déterminante au développement du réalisme magique, à l’instar de Gabriel Garcia Marquez ».

« Rendre avec précision l’imprécis » était le défi que se fixait Günter Grass. Ses talents de conteurs lui ont valu le Prix Nobel de littérature en 1999 pour avoir « dépeint le visage oublié de l'histoire dans des fables joyeuses et noires ». En 2010, il a publié le dernier volet de son autobiographie sous la forme d’une déclaration d’amour à la langue allemande (Les Mots de Grimm. Une déclaration d'amour).

Au-delà de l’écriture

Auteur, sculpteur, dessinateur, peintre, écrivain engagé : le Maison Günter Grass, à Lübeck, déploie les multiples facettes de la personnalité de Günter Grass
Auteur, sculpteur, dessinateur, peintre, écrivain engagé : le Maison Günter Grass, à Lübeck, déploie les multiples facettes de la personnalité de Günter Grass © picture alliance/dpa | Christian Charisius

Une visite à la maison Günter Grass de Lübeck le révèle : au-delà de la littérature, Günter Grass possédait beaucoup d’autres cordes à son arc. À commencer par les arts plastiques, son premier métier. Au lendemain de la guerre, il a travaillé comme tailleur de pierre. Puis il s’est formé comme sculpteur, peintre et dessinateur à l’Académie des Beaux-Arts de Düsseldorf et à l´École des Beaux-Arts de Berlin. Il a poursuivi toute sa vie ce travail de peintre, de sculpteur et d’illustrateur. Ses œuvres montrent la manière dont il a observé son environnement et essayé de représenter des idées complexes à partir de la vie quotidienne. Il pratiquait une peinture poétique, à la fois épique, dramatique et lyrique. Certaines de ses sculptures sont visibles dans le jardin de la Maison Günter Grass à Lübeck.

Intellectuel engagé et conscience morale

Dans les années 1960, la notion d’intellectuel engagé était assez étrangère à l’opinion publique allemande. Günter Grass a été un pionnier dans ce domaine. Il a pris fait et cause pour le social-démocrate Willy Brandt, pour qui il a écrit des discours. Il a participé activement à la campagne électorale qui l’a mené à la chancellerie, en 1969. Puis il a soutenu sa politique de détente avec l’Est et la réconciliation germano-polonaise. Il est longtemps resté proche du Parti social-démocrate, dont il a même pris la carte de 1983 à 1993.

Au fil des ans, il est devenu une conscience morale dans le débat politique allemand. Orateur prolixe, ne redoutant jamais la controverse aussi vive soit-elle, il s’est exprimé sur tous les sujets qui lui paraissent d’importance, tels que la défense des plus faibles et des minorités. En 1995, il a critiqué vivement les modalités de l’unification allemande. Il redoutait un État à deux vitesses.

Un grand humain, un grand vivant

Au-delà de ses talents artistiques et de ses engagements, Günter Grass était un grand vivant. Ses amis louaient l’humanité et la générosité de ce père de six enfants. Il était également réputé être un excellent cuisinier et un hôte de qualité. Les photos du gala donné en l’honneur de son Prix Nobel révèlent en outre un très bon danseur.

A.L.

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