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Der Abschied, l’ode à Paris posthume de l’historien Sebastian Haffner

Échange entre les historiens et essayistes Sebastian Haffner (g.) et Hellmut Diwald (dr.) dans les « Dokumente deutschen Daseins », une série d’émissions télévisée consacrée à l’histoire contemporaine allemande, en 1978 © picture alliance/United Archives | Max Schweigmann
Célèbre pour la perspicacité de ses ouvrages historiques et pour son autobiographie Histoire d’un Allemand, l’historien et journaliste Sebastian Haffner (1907-1999) fait ces jours-ci un retour remarqué sur la scène littéraire avec un roman posthume, intitulé Der Abschied.
Vingt-cinq ans après la parution posthume de son autobiographie Histoire d’un Allemand, témoignage d’une rare clairvoyance sur la désintégration de la République de Weimar, l’arrivée au pouvoir d’Hitler et la destruction morale à venir de l’Allemagne, Sebastian Haffner (1907-1999) effectue un retour inattendu dans l’actualité littéraire. Les éditions Carl Hanser viennent de publier Der Abschied (litt. : le départ), un roman de jeunesse inédit, écrit il y a près d’un siècle. L’historien et journaliste y compose une ode à Paris à travers le récit d’une histoire d’amour mélancolique.
Un amour mélancolique avec Paris pour décor
Il s’agit d’une autofiction. Le héros se nomme Raimund Pretzel, le véritable nom de Sebastian Haffner. Il exerce une profession juridique à Berlin, comme l’auteur à l’époque. Il rend visite à Paris à Teddy, une amie de longue date dont il est amoureux. Elle a quitté l’Allemagne pour la capitale française. Nous sommes au printemps 1931. Raimund partage la vie de Bohème de Teddy. Elle est entourée de jeunes hommes. Il peine à être seul avec elle. Le roman se concentre sur leur dernier week-end en commun avant l’heure des adieux, celle du départ du train de Raimund pour Berlin. Ils discutent de tout et de rien. Et ils visitent Paris, la Tour Eiffel, le Louvre – offrant des pages légères et lumineuses au lecteur.
Le temps qui passe
Sebastian Haffner a écrit ce roman en un mois, à l’automne 1932. Soit quelques semaines avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir. Le temps est la métaphore centrale de l’œuvre. Omniprésent dans la narration, il la scande à la manière d’un couperet. Il nourrit la mélancolie amoureuse du héros : il faut se dépêcher de vivre et d’aimer. Mais peut-être joue-t-il aussi un rôle métaphorique, indiquant qu’en ce début des années 1930, il ne reste plus beaucoup de temps pour enrayer la catastrophe ?
La critique salue, en tout cas, l’élégance du style et la fraîcheur de l’œuvre, écrite par un jeune homme de 24 ans. La famille de Sebastian Haffner a longtemps hésité à la publier de peur d’abîmer l’image d’analyste lucide de l’histoire allemande que fut l’auteur. Autant l’autobiographie Histoire d’un Allemand déroulait la trame de la grande Histoire, autant Der Abschied ignore la distance de l’analyse et la vision qui embrasse une époque. Le roman plonge avec spontanéité dans l’intimité du héros. Mais cette spontanéité donne justement sa force au texte, soulignent plusieurs critiques.
Le roman dessine toutefois le portrait d’une génération, celle de l’entre-deux-guerres. Il ménage une zone d’ombre : de Teddy, de sa psychologie et de ses ressentis, on apprend très peu de choses. Mais on sait qu’il s’agit d’un personnage qui a réellement existé. Teddy apparaît à la fin d’Histoire d’un Allemand, à l’occasion d’une dernière visite à Berlin en 1933, qui résonne comme le révélateur d’une société et l’annonce de temps sombres à venir.
Sebastian Haffner quittera l’Allemagne en 1938, pour n’y revenir qu’en 1954. Entre-temps, il aura débuté à Londres une brillante carrière de journaliste et d’essayiste. Il sera considéré dans les décennies suivantes comme l’un des historiens allemands les plus perspicaces en République fédérale.
A.L.