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Else Lasker Schüler, artiste, poétesse et bâtisseuse de mondes

Else-Lasker-Schüler, portraits © Else-Lasker-Schüler-Gesellschaft
Le musée Günter Grass de Lübeck consacre une exposition à l’artiste Else Lasker-Schüler (1969-1945), figure de l’avant-garde berlinoise des années 1920. Par leur expressivité et leur refus des conventions, ses poèmes et dessins conservent une résonnance très actuelle.
Quatre-vingt ans après sa mort, son aura fascine toujours. L’artiste Else Lasker-Schüler (1869-1945) a été l’une des personnalités les plus expressives, imaginatives et excentriques du Berlin des années 1920. Le musée Günter Grass de Lübeck lui consacre une exposition du 25 juin au 9 novembre. Intitulée « Else Lasker-Schüler: artiste, poétesse, bâtisseuse de mondes », elle invite à (re)découvrir cette artiste aux talents multiples dont la vie et l’œuvre continuent d’inspirer nos contemporains.
Une vie hors des sentiers battus

Else Lasker-Schüler grandit dans une famille bourgeoise de Wuppertal, dans la Ruhr. Elle épouse, au tournant du 20e siècle, un médecin qui l’emmène vivre à Berlin. L’énergie qu’elle met à adopter un mode de vie rangé n’y change rien : elle est incapable de vivre selon les conventions. Elle divorce deux fois, élève seule son fils et débute une vie de bohème.
Elle prend des cours de dessin et fréquente les cafés où vont les écrivains et les peintres (Georg Trakl, Franz Werfel, les peintres du Cavalier bleu). Elle lie de nombreuses amitiés et découvre sa propre vocation : le dessin, la poésie, le théâtre. Elle devient une artiste expressionniste. Mais même dans le Berlin des « Années folles », elle ne passe pas inaperçue avec ses pantalons larges, ses tenues excentriques, ses bijoux criards.
Alias Prince Youssouf de Thèbes
Inspirée par l’Orient et la Bible, elle joue sur scène habillée en homme. Elle se crée bientôt un alter ego : le « Prinz Jussuf von Theben » (« Le Prince Youssouf de Thèbes »). Ses poèmes transportent le lecteur dans un monde parallèle, expressif, métaphorique, langagier, religieux, mystique même. Écrire est pour elle un jeu. Sa vie est une œuvre d’art totale. « Sa manière d’écrire et ses illustrations sont tellement modernes qu’elles pourraient être le fait d’un artiste contemporain », souligne la commissaire de l’exposition, Paula Vosse.
Le musée Günter Grass présente plus de 50 dessins, une vingtaine de lettres et de cartes postales, ainsi qu’une trentaine de publications, dont des éditions originales rares. Des courts-métrages réalisés par de jeunes vidéastes contemporains portent un regard actuel sur l’œuvre. L’exposition s’adresse au grand public, et particulièrement aux jeunes. Les panneaux explicatifs sont accompagnés par un glossaire informatif et divertissant.
Un dessin inédit, récemment découvert
L’un des clous du parcours est un dessin inédit, récemment exhumé par la Société Else Lasker-Schüler et intitulé Le danseur tibétain (Der tibetanische Tänzer). « C’est un danseur – les deux bras tendus, les jambes en mouvement, représenté de manière très dynamique », décrit Paula Vosse. « L’image est chargée de symboles classiques : on voit la Lune, l’étoile de David et un cœur sur la joue. Chez Else Lasker-Schüler, c’est toujours un moment métaphorique. »
Exil à Jérusalem
D’origine juive, Else Lasker-Schüler prend en 1933 le chemin de l’exil. Elle rejoint Jérusalem et cet Orient qui l’attire. Jamais elle ne s’y sentira chez elle. Elle ne peut publier ses œuvres, écrites en allemand, alors prohibé. En 1927, la mort de son fils atteint de tuberculose est un drame dont elle peinera à se relever. Son excentricité la fait de plus en plus passer pour folle. Elle meurt en 1945, sans le sou et sans doute assez seule, sans se douter qu’elle inspirera encore bien des lecteurs et des artistes au cœur du 21e siècle.
Pour Paula Vosse, il importe « de reconnaître qu’Else Lasker-Schüler s’est aventurée au-delà des sentiers battus en faisant de sa vie une œuvre affranchie des conventions ». Était-ce une manière de se protéger de la violence montante du national-socialisme ? « Il est difficile de l’affirmer », juge la commissaire. « Mais une chose est sûre : elle incarna jusqu’à la fin un idéal de profonde tolérance — envers elle-même, et envers ceux qui l’entouraient. »
A.L.