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La Foire du livre de Francfort, chambre d’écho d’un monde en tension

Dernières parutions, rencontres avec les auteurs et nombreux débats d’actualité : la 77e Foire du livre de Francfort se tient du 15 au 19 octobre. © picture alliance / epd-bild | Thomas Lohnes
Intelligence artificielle, débats géopolitiques, évolution du marché du livre, prix littéraires : du 15 au 19 octobre, la 77e Foire du livre de Francfort prend le pouls d’un monde en mutation. Un millier d’auteurs sont présents. Plus de 200 000 visiteurs sont attendus.
Des sièges en rotin et en bambou, six « îles » en bois et acier, des vidéos surprenantes projetées sur des toiles tendues et au centre, un espace ouvert, sobre et lumineux : bienvenue au pavillon des Philippines ! Le pays aux 7 600 îles et 134 langues indigènes est l’hôte de la 77e Foire du livre de Francfort, qui se tient du 15 au 19 octobre. Deuxième Etat asiatique, après l’Indonésie, à jouir de cet honneur, il présente ses cultures et un siècle de littérature. Les dernières traductions en allemand de romans et d’essais se mêlent aux classiques du héros national José Rizal (1861–1896). Le thème du pavillon respire la légèreté : « L’imagination peuple l’air ».
Echos du monde
Ce souffle tranche avec les échos du monde qui résonnent dans les allées du salon. La Foire du livre de Francfort, premier rendez-vous mondial des professionnels du livre, bruisse des conflits, dangers et débats qui agitent la planète. Le directeur, Jürgen Boos, veut en faire un espace de dialogue dans un monde polarisé. « Dans un monde où les frontières reprennent du pouvoir, le talent de créer du lien est aussi politique », a-t-il déclaré lors de l’inauguration.
Ce désir s’incarne dans un programme culturel intitulé « Frankfurt Calling - Perspectives on Culture and Politics ». On y débat des droits de l’Homme, de la liberté d’expression, de l’Ukraine, de Gaza ou des stratégies de résistance démocratiques contre la montée de l’autoritarisme. On y aborde aussi l’un des grands thèmes qui font l’actualité du monde du livre : l’intelligence artificielle (IA).
« Colonialisme numérique » des géants de l’IA

Le ministre fédéral adjoint à la Culture, Wolfram Weimer, a relayé sans détour les préoccupations du monde littéraire lors de l’inauguration de la Foire. Selon lui, le comportement des géants technologiques américains et chinois s’apparente à un « colonialisme numérique que nous ne pouvons plus accepter ».
Ils « entraînent leurs systèmes d’IA avec des milliards d’œuvres, sans demander le consentement des auteurs, et sans leur verser le moindre centime », a-t-il exposé. « Ils se servent, sans la moindre gêne, dans le réservoir de la propriété intellectuelle du monde entier. Les cultures du globe sont en quelque sorte ravalées au rang de fournisseurs de matières premières, et exploitées sans scrupules. (…) Il nous faut instaurer une protection efficace du droit d’auteur. »
Le ministre a dénoncé des « vampires de données » qui aspirent le potentiel créatif d’esprits brillants innombrables, dont ils exploitent les idées et les émotions, la force de création, les visions. Les œuvres autonomes, notamment les livres, deviennent pour eux des proies. Ce « vampirisme intellectuel » pourrait « mettre la littérature en pièces », craint-il.
Karin Schmidt-Friderichs, présidente de l’Association allemande des éditeurs et libraires, lui a emboîté le pas pour protester contre l’irresponsabilité des « oligopoles numériques ». « Dans le monde virtuel, ce sont désormais quelques milliardaires qui déterminent quels algorithmes nous délivrent quelles informations », a-t-elle dénoncé. « Ils ne respectent ni les règles d’une loi sur la presse ni aucune responsabilité quant aux contenus qu’ils publient ou censurent ». Leur pouvoir « érode les démocraties ».
Plus de mille auteurs à la rencontre du public
« Heureusement, les machines ne respirent pas. (…) Elles ne ressentent ni pouls, ni battements de cœur, nu souffle », a nuancé Wolfram Weimer. La Foire du livre est un lieu qui « célèbre la liberté d’expression et de pensée ». Elle offre un refuge aux auteurs.
Ces derniers sont d’ailleurs au rendez-vous. Plus d’un millier d’auteurs et d’orateurs et 4 000 maisons d’édition ont répondu présent jusqu’à dimanche. Les deux premiers jours sont réservés aux professionnels, les trois derniers ouverts au grand public. Plus de 200 000 visiteurs sont attendus. Car même si le nombre de librairies diminue en Allemagne, la lecture est en progression chez les jeunes, qui plébiscitent la littérature New Adult.
Prix du livre allemand pour Dorothee Elmiger…

Deux auteurs en particulier devraient recueillir les fruits de leurs succès. La Suissesse Dorothee Elmiger a été couronnée en début de semaine par le prestigieux Prix du livre allemand pour son roman Die Holländinnen (éd. Carl Hanser, 2025).
« Ce roman est un événement », « un voyage fascinant au cœur des ténèbres », s’est enthousiasmé le jury. Dans un style « à la fois distant et captivant », Dorothee Elmiger raconte le voyage d’une troupe de théâtre dans la forêt tropicale sud-américaine sur les traces de deux Hollandaises disparues deux ans plus tôt.
Le récit, imbriqué et fragmenté, voit chacun des personnages révéler la face la plus sombre de sa personnalité. « Une manière de capturer l’esprit de notre époque », selon l’auteure, qui était en compétition avec cinq autres finalistes : Kaleb Erdmann (Die Ausweichschule), Jehona Kicaj (ë), Thomas Melle (Haus zur Sonne), Fiona Sironic (Am Samstag gehen die Mädchen in den Wald und jagen Sachen in die Luft) et Christine Wunnicke (Wachs).
… et Prix de la paix des libraires allemands pour Karl Schlögel
Le second auteur qui retiendra l’attention est l’historien et essayiste Karl Schlögel. Spécialiste de l’Europe de l’est, il recevra dimanche le Prix des libraires allemands. Selon le jury, il « allie l’écriture historique empirique à ses expériences personnelles », et se fait à la fois l’« archéologue de la modernité » et le « sismographe des changements sociaux ». Bien avant la chute du Rideau de fer, il avait « fait découvrir Kyïv et Odessa, Lviv et Kharkiv aux lecteurs, et décrit Saint-Pétersbourg ou Moscou comme des métropoles européennes. »
A.L.