Bienvenue sur les pages du Ministère fédéral des Affaires étrangères
La nature dans l’histoire allemande, une réalité aux mille visages
Affiche de l’exposition « Nature et histoire allemande. Foi – Biologie – Pouvoir », présentée à Berlin jusqu’au 7 juin 2026. Conception graphique : VISUAL SPACE AGENCY & STUDIO BENS © Musée historique allemand
Quand on évoque la « nature », de quoi parle-t-on au juste ? Le terme a pris des significations changeantes au fil de l’histoire allemande, c’est ce que montre une exposition du Musée historique allemand (DHM), à Berlin.
Pour les uns, elle évoque les paysages ruraux et le patrimoine, pour d’autres des écosystèmes à protéger de l’exploitation productiviste : la nature est-elle de droite ou de gauche ? À Berlin, une exposition du Musée historique allemand (DHM) invite à prendre de la hauteur pour apporter nuances et profondeur au débat. Elle retrace les conceptions de la « nature » qui se sont succédé dans l’histoire allemande. La « nature » s’y révèle une notion complexe et en perpétuelle évolution.
De Hildegard de Bingen à l’écologie contemporaine
Le voyage débute au Moyen-Âge. Au 12e siècle, Hildegard de Bingen (1098-1179), abbesse bénédictine, naturaliste et visionnaire, rédige de célèbres traités théologiques, médicaux et botaniques. Elle prescrit à l’être humain de se soumettre à une énergie vitale créatrice et régénératrice animant le vivant : la « force verte » (viriditas en latin). Pour elle, la « nature » correspond à la totalité de la Création : le cosmos, les fleuves, les pierres et l’ensemble du vivant. Au 14e siècle, Konrad von Megenberg fonde sur une conception similaire son Livre de la nature, le premier recueil de synthèse en langue allemande sur la nature créée.
Le voyage se poursuit à travers huit siècles d’histoire, scandé par cinq grandes étapes. 250 tableaux, globes, cartes, ouvrages, modélisations, photos, vidéos et interviews d’historiens servent de guides.
L’époque moderne succède au Moyen-Âge. C’est une époque marquée par les guerres, les mauvaises récoltes, les épidémies. Pour les contemporains, la « nature » reste régie par des lois divines. Mais elle devient l’objet d’une étude systématique et peut être utilisée comme une ressource. En témoignent à la Renaissance l’astronome Johannes Kepler (1571-1630), découvreur des lois du mouvement planétaire, et au 18e siècle le roi Frédéric II de Prusse (1712-1986), instigateur des « Kartoffelbefehle » (édits sur la pomme de terre) pour inciter les paysans à cultiver le tubercule et prévenir les famines.
Science, politique et idéologie
Au 19e siècle, la « nature » entre dans l’arène politique. Ernst Haeckel (1834-1919), biologiste, zoologiste et grand partisan de la théorie de l’évolution, nomme d’après Bismarck (« Alacorys bismarckii ») l’une des espèces de radiolaires qu’il découvre. Dans le sillage de la Révolution industrielle, la « nature » se définit de plus en plus en opposition à la « culture ». On débat pour savoir ce qui est « naturel » et ce qui ne l’est pas. Le pédagogue Friedrich Fröbel (1782-1852), voyant dans la nature la meilleure enseignante pour le développement des enfants, crée en 1840 le premier « jardin d’enfants » (Kindergarten). Mais l’État prussien s’empresse d’interdire cette innovation trop révolutionnaire et athée à ses yeux.
Au 20e siècle, l’idéologie s’en mêle. Aucun mouvement politique dans l’histoire n’a été obsédé par l’idée de créer une norme de la « nature allemande » comme l’a été le nazisme. À partir de 1933, il y soumet par la violence des populations et des paysages : les lois raciales (loi de Nuremberg) et la Loi du Reich sur la protection de la nature sont adoptées la même année, en 1935.
Qu’entend-on par « naturel » ?
« La question de ce qui doit être considéré comme ‘naturel’ a occupé une place croissante sur la scène politique, et s’est accompagnée d’une valorisation ou d’une stigmatisation de personnes, pays, groupes ou nations », commente l’historien Raphael Gross, président de la Fondation du musée. « Les règles et les normes établies étaient alors présentées comme ‘naturelles’. C’est pourquoi il nous semble important de reposer sans cesse la question de ce que l’on a défini comme ‘la nature’ dans l’histoire allemande, et des conséquences de cette définition. »
Chacune des étapes de l’exposition est placée sous le signe d’un animal ou d’une plante. Des paysages variés surgissent sous le pinceau des artistes en fonction des époques : les paysages aménagés par l’homme au Moyen-Âge, les terres dévastées de la Guerre de Trente Ans (17e siècle), la « forêt allemande » idéalisée et élevée au rang de mythe au 19e siècle, les paysages de mines à ciel ouvert de RDA au 20e siècle.
L’exposition s’achève sur la création de l’expression « protection de l’environnement », dans les années 1970, en réaction à l’élevage industriel, à l’exploitation des ressources naturelles et la pollution en République fédérale et en RDA. L’Allemagne voit naître les premiers mouvements démocratiques de protection de l’environnement. Des citoyens protestent contre la construction d’une centrale nucléaire. Ces mouvements serviront de modèles à l’émergence de mouvements comparables du Japon aux États-Unis.
A.L.