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Rilke, une icône à redécouvrir

Rainer Maria Rilke (1875-1926), à Westerwede en 1902. Le poète venait d’épouser Clara Westhoff, et s’était lié d’amitié avec Paula Modernsohn-Becker, figure de la colonie d’artistes de Worpswede.

Rainer Maria Rilke (1875-1926), à Westerwede en 1902. Le poète venait d’épouser Clara Westhoff, et s’était lié d’amitié avec Paula Modernsohn-Becker, figure de la colonie d’artistes de Worpswede. © picture-alliance / akg-images | akg-images

28.11.2025 - Article

Le 150e anniversaire de Rainer Maria Rilke (1875-1926) est l’occasion de découvrir des facettes méconnues du célèbre écrivain autrichien. Biographies, expositions : un fonds d’archives acquis en 2022 par les Archives littéraires allemandes livre ses secrets.

Le 1er décembre 2022, les Archives littéraires allemandes (DLA) annonçaient avoir réalisé « l’acquisition du siècle ». L’institution de Marbach-am-Neckar venait de prendre possession des Archives Rilke de Gernsbach, un fonds constitué de milliers de lettres, livres, photos et documents ayant appartenu à Rainer Maria Rilke (1875-2022). Ce trésor était resté pendant un siècle dans la famille du célèbre écrivain autrichien. Désormais accessible aux chercheurs, il livre peu à peu ses secrets. À l’occasion des 150 ans de sa naissance (4 décembre 2025) et du centenaire de sa mort (29 décembre 2026), un flot de publications, d’expositions et de documentaires brosse un portrait renouvelé de l’auteur des Lettres à un jeune poète.

Rilke sous un nouveau jour à Marbach

L’un des événements de cette Année Rilke est l’exposition « Et de temps en temps un éléphant blanc. Les mondes de Rilke  ». Elle sera inaugurée le 4 décembre par le président allemand, Frank-Walter Steinmeier au musée de la littérature moderne de Marbach. Elle présentera de Rilke un portrait mis à jour en s’appuyant sur le fonds exceptionnel du DLA. Constitué depuis 1955, celui-ci s’est enrichi en 2022 de 10 000 lettres de l’écrivain, 8 800 missives de ses correspondants (dont Lou Andreas-Salomé et Paul Valéry), 470 livres annotés de sa main, 131 dessins inédits et plus de 300 photos.

200 manuscrits, lettres, carnets, croquis, livres, images et objets seront exposés. Ils dévoilent un artiste qui, loin du cliché habituel, n’est pas resté dans sa tour d’ivoire. Un « Rilke total » : auteur et acteur du milieu littéraire de son temps, mari, père, ami, amant, citoyen, voyageur, lecteur et collectionneur. Rilke s’y découvre dans ses différents rôles, et notamment comme une clé de voûte des réseaux intellectuels et artistiques de son temps.

Sandra Richter, biographe : Rilke, un Européen

Marbach, musée de la littérature moderne
Marbach, musée de la littérature moderne © picture alliance / Eibner-Pressefoto | Eibner-Pressefoto/Kuhnle

Sandra Richter, directrice des Archives littéraires de Marbach, est l’autrice de l’une des biographies marquantes de ce 150e anniversaire (Rainer Maria Rilke oder das offene Leben, Suhrkamp, 2025). Elle décrit un homme sociable, pragmatique, plein d’humour et attentif aux réalités matérielles. Elle fait aussi ressortir son caractère profondément européen.

« Pour Rilke, l’Europe constituait une seule et unique patrie », explique-t-elle.

« Il venait de l’Est (Il était né à Prague, alors dans l’Empire austro-hongrois, ndlr). Le tchèque ne lui était pas familier, mais il pouvait le comprendre. Il parlait russe. Il savait lire les langues scandinaves. L’italien et le français ne lui posaient aucune difficulté, et il se débrouillait également en Espagne. » À la fin de sa vie, Rilke, qui avait vécu plusieurs années à Paris, écrivait plus souvent en français qu’en allemand.

Outre son ouverture au monde, l’exposition explore les univers créés par Rilke. Poète de l’intériorité, solitaire et sensible, l’auteur des Sonnets à Orphée a jalousement gardé secret son processus de création. Toute sa vie, il a dissimulé les manuscrits préparatoires et les variantes de ses textes. Aujourd’hui, grâce aux carnets, lettres, livres, images et autres objets acquis en 2022, l’exposition reconstitue la genèse de plusieurs de ses œuvres. Elle montre aussi les « poussées explosives » de ses inspirations, qui intervenaient parfois avec un décalage chronologique (comme le montre l’histoire de la genèse des Élégies de Duino).

Un virtuose du langage et de l’introspection très actuel

Ces découvertes ont de quoi attiser la curiosité des millions de lecteurs que Rilke continue de fasciner au 21e siècle. Explorateur de la modernité et des grandes questions existentielles, dans Les Cahiers de Malte Laurids Brigge et les Elegies de Duino, mentor invitant à tracer sa propre voie dans les Lettres à un jeune poète, auteur du vers célèbre « Tu dois changer ta vie », il est certainement l’un des auteurs germanophones les plus lus et les plus aimés aujourd’hui. Il est très populaire parmi les jeunes, qui en discutent sur Tik Tok, et inspire les artistes. Lady Gaga a ses vers tatoués sur le bras.

Sandra Richter décrypte cette modernité : « C’est un artiste qui manie la langue comme nul autre. Il crée des images et des mélodies absolument extraordinaires », explique-t-elle. Sa force réside dans « cette manière audacieuse et séduisante de manier la langue » (…) qui « nous touche profondément ». Pour la germaniste, nous avons plus que jamais besoin de Rilke. Nous traitons la langue avec négligence. Son talent « est de nous proposer de nouveaux concepts et de nouvelles images. Cela peut nous ouvrir à de nouveaux mondes, à une époque où l’intelligence artificielle domine un monde régi par le répétable et le banal. »

Rilke dessinateur et ami des artistes

Cette virtuosité du poète, où puise-t-elle sa source ? Les archives acquises en 2022 apportent des clés, ici encore. Elles révèlent, en effet, l’intégralité de l’œuvre graphique de Rilke. Loin de se cantonner à ses dessins d’enfance, celle-ci comprend 150 créations graphiques inédites.

Ces dessins sont réunis dans un ouvrage (Rilke zeichnet, Aufbau Verlag, 2025) de Gunilla Eschenbach et Mirko Nottenschied, parmi un total de 320 dessins, esquisses et notes graphiques du poète. Ils révèlent que Rilke, dans sa jeunesse, est devenu artiste par le dessin avant de le devenir par l’écriture. Comme poète, il se laissait souvent guider par ses impressions visuelles. À partir des années 1900, il s'est aussi mit à la photo.

Il a rencontré et vécu avec de nombreux artistes : en 1901, il épouse la sculptrice Clara Westhoff et s’installe dans la colonie artistique de Worpswede, près de Brême, où il se lie d’amitié avec Paula Modernsohn-Becker. En 1902, une commande pour une monographie sur le sculpteur Auguste Rodin le fait déménager à Paris.

La rencontre avec Rodin, dont il devient le secrétaire en 1906, et son admiration pour le peintre Paul Cézanne, marquent un tournant. Rodin lui enseigne la rigueur et l’objectivité du regard. « J’apprends à voir », écrit-il. À cette période naît la poétique des Dinggedichte (« poèmes-choses »), dont certains deviendront ses plus célèbres vers : « La panthère », « Torse archaïque d’Apollon », le « Carrousel ». L’objet, dans ces poèmes, n’est pas un symbole, mais une présence autonome que le regard du poète cherche à faire advenir.

La relation de Rilke à l’art est actuellement le thème d’une exposition du musée Paula Mendelsohn-Becker, à Brême. Intitulée « Rilke et l’art », elle réunit jusqu’au 18 janvier 2026 des œuvres de Paula Modersohn-Becker, Clara Rilke-Westhoff, Auguste Rodin, Paul Cézanne, Pablo Picasso, ainsi que des écrits inédits. Elle met en lumière le réseau artistique de Rilke, retrace l’évolution de son rapport aux arts plastiques et illustre sa compréhension de la modernité naissante. Elle explore également son amitié avec Paula Modersohn-Becker, pour qui il écrira en 1908 le « Requiem pour une amie ».

L’Année Rilke ne fait que commencer. Mais 2025 est déjà riche en nouvelles parutions sur le poète autrichien (Manfred Koch, Rilke. Dichter der Angst – Eine Biographie, Hans-Peter Kunisch, Das Flimmern der Raubtierfelle, Ulrich von Bülow, Psychoanalyse und Krieg. Zum Briefwechsel zwischen Rainer Maria Rilke und Sigmund Freud). La chaîne ARTE lui consacre également un documentaire de Thomas von Steinaecker, intitulé « Rainer Maria Rilke, la poésie dans la peau » (2025).

A.L.

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