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Qui, sinon nous ?

Le ministre fédéral des Affaires étrangères Heiko Maas et son homologue français Jean-Yves Le Drian (16 octobre 2018)

Le ministre fédéral des Affaires étrangères Heiko Maas et son homologue français Jean-Yves Le Drian (16 octobre 2018), © Xander Heinl/photothek.net

14.02.2019 - Article

Tribune de Jean-Yves Le Drian et Heiko Maas, respectivement ministres français et allemand des Affaires étrangères, à l’occasion de l’ouverture de la Conférence de Munich sur la sécurité. Publiée dans le quotidien allemand « Süddeutsche Zeitung »

Le système multilatéral tel qu’il a été conçu au lendemain de la Seconde Guerre mondiale traverse ce qui est peut-être la crise la plus grave de son existence. Malheureusement, l’idée qu’un système international fondé sur des règles est le meilleur garant de notre sécurité et de notre prospérité n’est plus évidente pour tous. La confiance et la force obligatoire des engagements qui caractérisent la coopération internationale, la recherche de solutions communes, la force et la capacité d’action des institutions - toutes ces valeurs et ces principes s’érodent, menaçant de nous ramener à un « monde d’hier ». Cette année encore, lors de la 55e Conférence de Munich sur la sécurité, la situation critique dans laquelle se trouve le multilatéralisme (autrement dit une politique extérieure de différents États fondée sur la coopération) dominera les discussions.

L’ordre international est soumis à des pressions massives. Certains acteurs misent de manière accrue sur la politique de puissance, minent l’idée d’un ordre fondé sur des règles pour pouvoir faire jouer la loi du plus fort à leur profit. Dans le même temps, dans de nombreuses sociétés, y compris du monde occidental, des critiques se font jour quant à l’apparente inefficacité de la coopération internationale. De plus en plus de voix s’élèvent selon lesquelles il conviendrait de rejeter cette coopération au motif qu’elle serait trop coûteuse et de faire comme si les problèmes mondiaux tels que le changement climatique, les migrations et la cybersécurité pouvaient être traités à l’intérieur des frontières nationales. La concurrence entre grandes puissances et la montée des nationalismes entraînent un éclatement accru de l’ordre mondial sur les plans politique, économique et sociétal.

Afin de contrer cette tendance, les États partageant les mêmes vues doivent entreprendre des actions communes et renforcer leur engagement en faveur du multilatéralisme. La France et l’Allemagne entendent être pionnières en la matière. De concert avec nos partenaires européens, nous misons sur la coopération multilatérale et sur un ordre mondial fondé sur des règles. Nous sommes convaincus qu’un engagement renouvelé en faveur du multilatéralisme, une alliance pour le multilatéralisme, est plus que jamais nécessaire pour stabiliser l’ordre mondial fondé sur des règles, en préserver les principes et l’adapter à de nouveaux défis si nécessaire. C’est pourquoi nous voulons tisser avec nos partenaires un réseau mondial de ceux qui, comme nous, sont convaincus que la poursuite d’intérêts nationaux et légitimes et la protection des biens communs de l’humanité ne sont pas contradictoires mais parfaitement compatibles.

Nous devons protéger les normes, accords et institutions internationaux lorsqu’ils sont soumis à des pressions, que leur existence ou leur financement est menacé. Sont notamment concernés le droit international, ainsi que les droits de l’homme et le droit humanitaire international, qui subissent chaque jour des violations dans le monde entier, exacerbant les conflits. Cela implique que nous nous engagions en faveur d’un commerce libre et équitable et que nous mettions tout en œuvre pour préserver les avancées diplomatiques significatives telles que l’accord sur le nucléaire iranien, les accords sur la lutte contre le changement climatique ou les régimes de maîtrise des armements.

Nous devons également faire preuve d’un engagement et d’une détermination accrus là où une régulation politique est nécessaire et où les défis nouveaux exigent une réponse commune. Cela vaut en particulier pour les crises régionales et les nouveaux mécanismes de coopération internationale. À l’ère du numérique, nous nous engageons pour une régulation appropriée qui concilie respect de la vie privée, préoccupations liées à la sécurité et défense des libertés individuelles. Et nous entendons formuler des réponses multilatérales efficaces aux cyberattaques et aux manipulations malveillantes de l’information.

Sans aucun doute, le système multilatéral actuel n’est pas parfait. Il n’est pas toujours en mesure de trouver les réponses adaptées aux innombrables défis à relever. Ceux qui, comme nous, défendent le multilatéralisme doivent également veiller à ce que celui-ci soit plus efficace, plus représentatif et plus réactif. L’ordre politique et économique mondial doit devenir plus inclusif et plus efficace afin d’apporter aux citoyennes et citoyens du monde entier des résultats plus tangibles.

Les défis sont gigantesques. Il n’y a pas une solution unique. Au contraire, il importe de constituer des réseaux flexibles d’États engagés qui, grâce à une géométrie variable et à la diversité des participants, produiront le maximum d’effets. Des coalitions d’États partageant les mêmes vues devraient se former en fonction des thématiques afin d’obtenir des résultats politiques concrets. La participation à ce réseau pour le multilatéralisme n’est pas exclusive mais elle vise à contribuer de façon engagée et durable aux objectifs de l’Alliance pour le multilatéralisme.

La France et l’Allemagne sont prêtes, de concert avec d’autres partenaires, à jouer le rôle de moteur et de pivot pour ce réseau. En 2019 et 2020, Paris et Berlin utiliseront la présence de l’Allemagne au Conseil de sécurité comme membre élu comme une occasion de travailler ensemble au renforcement du multilatéralisme, en particulier à l’occasion de nos présidences successives du Conseil de sécurité à New York en mars et avril prochains.

À cet égard, nos partenaires européens et les institutions européennes jouent un rôle clé. L’Union européenne est une pièce maîtresse du système multilatéral. Le compromis et la recherche du juste équilibre sont inscrits au plus profond de son ADN. Nous, Européens, sommes donc un partenaire fiable pour ceux qui entendent préserver un ordre fondé sur des règles et qui sont disposés pour cela à endosser davantage de responsabilité. Nous constatons partout dans le monde une forte volonté d’œuvrer en ce sens. Il est grand temps de nous concerter plus étroitement et de bâtir un réseau solide et engagé permettant de préserver la diplomatie multilatérale des fausses promesses d’une action purement nationale, ainsi que d’une politique de puissance débridée. Qui le fera, sinon nous ? Et quand, si ce n’est maintenant ?

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