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Discours du ministre fédéral des Affaires étrangères Heiko Maas à l’occasion de la conférence de lancement du réseau européen « Combattre l’antisémitisme par l’éducation »
Le ministre fédéral des Affaires étrangères Heiko Maas, © dpa
L’école, ça suffit ! C’est un cri du cœur que la plupart d’entre nous a probablement poussé. Et plusieurs milliers d’élèves berlinois le pensent certainement en ce moment, à l’heure où ils passent leur brevet ou terminent leurs derniers examens du baccalauréat.
Je garde un souvenir précis de mes impressions d’alors : un sentiment de soulagement, pour être honnête, que cela touche bientôt à sa fin. Mais aussi un léger vertige à cause de tout ce que j’avais potassé au cours de ces semaines et mois d’examens.
Pourtant, la quantité d’informations disponibles à l’époque était encore raisonnable par comparaison avec la situation actuelle. Une étude récente conclue que le volume de données produites, partagées et consommés sera l’an prochain, en 2020, 50 fois plus élevé que ce qu’il était il y a encore trois ans.
Mesdames, Messieurs,
La numérisation promet l’accès à un volume de connaissances pratiquement infini. Et on a l’impression que les réponses aux questions les plus complexes ne sont parfois qu’à un clic de distance.
Mais nous savons aussi qu’un savoir disponible n’est pas forcément un savoir assimilé.
Selon une enquête de CNN, 40 % des jeunes Allemands considèrent qu’ils ont peu de connaissances sur le génocide des millions de Juifs d’Europe.
Et je trouve que cela devrait nous inquiéter. Car comprendre sa propre histoire, cela dépasse la simple connaissance du passé. C’est la meilleure manière de s’immuniser contre l’intolérance, le racisme et l’antisémitisme. Car la mémoire est liée à l’avenir.
C’est pourquoi nous devons remédier au manque de connaissances, a fortiori à l’ère du numérique. Car les faits sont accessibles à tout moment, mais les demi-vérités, les mensonges et la haine le sont aussi.
De plus en plus souvent, nous entendons une minorité radicale gronder tandis que la grande majorité semble se taire. C’est vrai sur Internet mais aussi dans la rue.
Il y a deux semaines à peine, des néonazis en uniformes défilaient à Plauen. Et les partisans de l’AfD braillent à visage découvert « Deutschland, Deutschland über alles ! » (« l’Allemagne par-dessus tout ! »). Ce sont des images sidérantes. Mais ces images doivent aussi nous pousser à sortir de cet état de stupéfaction et à nous soulever contre tant de bêtise et de bassesse.
Vous faites partie de ceux qui s’insurgent, Monsieur Hizarci. Vous faites partie, avec vos soutiens, de ceux qui luttent contre une telle ignorance.
Cette mission s’est étendue, ces dernières années, y compris en raison des mouvements migratoires - il n’y aucune raison de minimiser le phénomène. Car beaucoup de nouveaux arrivants ont été nourris très tôt de clichés antisémites.
Le journaliste Constantin Schreiber a publié il y a quelques jours un livre présentant même des exemples de manuels scolaires diffamant les Juifs dans certains pays. Ces caricatures marquent notamment les jeunes gens dans leur développement et elles ne s’oublient pas en passant la frontière allemande.
C’est la raison pour laquelle les organisations comme l’Initiative de Kreuzberg contre l’Antisémitisme (KIgA) sont si importantes, grâce à leur travail de sensibilisation contre les stéréotypes antisémites. Des organisations qui savent en même temps ce qui fait vibrer les jeunes dans les écoles de Berlin.
Aujourd’hui, de telles associations existent d’ailleurs dans de nombreux pays d’Europe, heureusement !
Certaines sont déjà en contact, font part de leurs expériences, échangent sur leurs bonnes pratiques comme sur leurs tentatives plus mitigées. Mais une mise en réseau durable et donc efficace fait encore défaut.
Nous voulons y remédier. Il était plus que temps, quand on voit comme l’antisémitisme, comme la haine et la violence contre les minorités se propagent en Europe.
Selon une enquête de l’UE, 89 % des Juifs, en Europe, ont le sentiment que l’antisémitisme augmente dans le pays dans lequel ils vivent. Et plus d’un tiers d’entre eux n’osent pas ou peu afficher leur appartenance religieuse ou pensent à émigrer.
Nous ferons donc de la lutte contre l’antisémitisme une priorité de notre présidence du Conseil de l’UE l’an prochain. Et le réseau que nous lançons aujourd’hui en sera un pilier important.
Mesdames, Messieurs,
Nous célébrons actuellement les 70 ans de la Loi fondamentale. Cette Constitution qui est la nôtre est notre chance, car elle n’accepte aucun compromis sur un point précis : elle subordonne tout à la dignité humaine. Et cette promesse centrale, consistant à protéger et défendre la dignité humaine à tout prix, vise expressément tous les êtres humains.
Je tiens à le rappeler tout particulièrement parce que nous ne saurions laisser les populistes d’extrême-droite et les nationalistes instrumentaliser la peur de l’antisémitisme pour justifier un racisme anti-musulmans.
Dans une Europe libre et tolérante, une femme portant un voile doit être protégée des insultes et des agressions au même titre qu’un homme qui porte une kippa.
Main dans la main contre toute forme de racisme : c’est la raison d’être du groupe de travail transatlantique intitulé « Alliances judéo-musulmanes » que l’initiative KIgA va créer en 2019 parallèlement au réseau européen.
Nous nous réjouissons d’y apporter notre soutien.
L’importance d’agir main dans la main contre l’antisémitisme et le racisme antimusulman est soulignée aussi par le nouveau partenariat entre l’American Jewish Committee et la Ligue islamique mondiale (MWL), lancé il y a deux semaines.
Nos vœux de plein succès vous accompagnent également, nous soutiendrons vos travaux !
Mesdames, Messieurs,
Puisque nous parlons de coopération entre personnes de foi juive et islamique, je veux clarifier un point supplémentaire : l’antisémitisme n’est pas un produit d’importation. Nous autres Allemands avons spécifiquement l’obligation d’en être toujours conscients.
En Allemagne, la majorité des actes criminels antisémites est le fait d’extrémistes de droite. Les derniers chiffres du ministère fédéral de l’Intérieur sont effrayants : on compte plus de 12 000 sympathisants d’extrême-droite prêts à recourir à la violence rien qu’en Allemagne.
Le meilleur terreau pour la haine et l’intolérance est et reste l’indifférence. Une seule chose à faire face à cela, pas seulement dans ce domaine mais tout particulièrement dans celui-là : prendre la parole, maintenant, et répondre !
Le réseau qui naît aujourd’hui est d’abord et avant tout un appel contre l’indifférence. Cela montre que nous constituons, nous qui nous engageons pour la tolérance et la coexistence, la très large majorité, pas seulement en Allemagne mais sur ce continent. Et j’en suis parfaitement persuadé parce que j’en fais l’expérience dans mes voyages à travers l’Europe. Et cela me donne vraiment du courage, Mesdames et Messieurs, y compris pour ce qui nous occupe aujourd’hui.
C’est pourquoi je remercie chaleureusement tous ceux qui ont rendu ce réseau possible et qui ont pris tant d’engagements. Une fois encore, bienvenue au Ministère fédéral des Affaires étrangères ! Je suis heureux que vous soyez ici aujourd’hui. Je vous souhaite le plus grand succès dans la suite de vos travaux.