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Discours du ministre fédéral des Affaires étrangères Heiko Maas à l’occasion de la Conférence des ambassadeurs et des ambassadrices de la République française
Le ministre fédéral des Affaires étrangères Heiko Maas lors de son discours à l’occasion du séminaire des ambassadeurs et ambassadrices de France en poste en Europe le lundi 31 août 2020, © Jonathan SARAGO / MEAE
Cher Jean-Yves,
Messieurs les Ministres et les Secrétaires d’État, Excellences,
Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs,
Chers amis,
Cher Jean‑Yves,
Tu aurais très bien pu m’offrir un maillot du Paris Saint-Germain, car la défaite du Paris Saint-Germain lors de la finale de la Ligue des champions a été égalisée hier par l’équipe féminine de l’Olympique lyonnais qui a remporté la finale de la Ligue des champions féminine contre une équipe allemande. Cela montre bien que même dans le football, nous arrivons toujours à des résultats équilibrés dans le cadre de l’amitié franco-allemande.
Par ailleurs, c’est aujourd’hui de toute façon un grand jour pour le sport français : hier, Julian Alaphilippe a remporté la deuxième étape du Tour de France et aujourd’hui, c’est un Français qui démarre fort à la troisième étape du Tour – félicitations !
Cher Jean‑Yves,
Lorsque tu m’as demandé il y a quelques semaines si je venais à votre conférence des ambassadeurs, je n’ai pas hésité longtemps, et ce pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, on ne refuse pas l’invitation d’un ami. Quand tu m’appelles, je viens – que ce soit à Paris ou en Bretagne. Et l’inverse est également vrai. Je t’en suis très reconnaissant. On parle toujours de l’amitié franco-allemande. L’amitié est un mot dont on ne devrait pas abuser. Je n’en abuse pas. Je te remercie vivement pour notre amitié personnelle – et ce n’est pas une formule diplomatique que j’emploie là. Cela a à voir avec la confiance et la fiabilité. Et c’est quelque chose que l’on ne voit pas trop souvent en politique. Je me réjouis énormément que tu réunisses ces qualités.
En outre, ayant grandi près de la frontière entre la France et l’Allemagne, l’amitié franco-allemande revêt pour moi une importance particulière. Je suis né dans la Sarre. J’ai passé les premières décennies de ma vie là‑bas, à la frontière, celle pour laquelle nous avons sans cesse essayé de nous entretuer durant les siècles précédents. La Sarre qui, après la Première et la Seconde Guerre mondiale du siècle dernier, a appartenu tantôt à l’Allemagne, tantôt à la France. Ma grand‑mère a vécu de 1902 à 1987. Elle a habité tout ce temps dans le même village, dans la même rue, dans la même maison. Mais de son vivant, elle a possédé cinq passeports différents. Le fait que je sois ici aujourd’hui en tant que ministre allemand des Affaires étrangères est un hasard de l’histoire. Le fait que je sois Allemand est un hasard de l’histoire.
Lorsque j’ai commencé mes études à Sarrebruck, notre professeur nous a conseillé d’aller voir les sépultures de guerre à Verdun. Il voulait nous faire comprendre que les gens comme moi, qui sont nés en 1966 et qui, heureusement, n’ont jamais connu la guerre, ne devaient surtout pas croire que la paix et la réconciliation franco-allemande sont une évidence. Ce que les générations de responsables politiques précédentes dans nos deux pays – il suffit de se remémorer la photo historique de François Mitterrand et de Helmut Kohl à Verdun – ont accompli dans ce domaine est pour moi d’une très grande importance.
C’est la raison pour laquelle je ne me lasserai pas de le répéter – dans mon pays et à l’attention de ma génération également qui n’a connu qu’une vie offrant tout ce que l’on peut désirer : la paix, la liberté, l’État de droit, la démocratie – : rien de tout cela n’est évident. On ne peut pas se contenter de le vivre et de l’apprécier ; il y a aussi des moments où il est nécessaire de se battre pour préserver cet acquis.
Or je trouve que nous vivons à nouveau un tel moment. C’est pourquoi l’un des plus beaux instants de mon mandat, cher Jean‑Yves, fut pour moi d’avoir pu signer avec toi le Traité d’Aix‑la‑Chapelle, aux côtés de la Chancelière et du Président de la République. C’est également un moment et un honneur particuliers pour moi que d’être ici aujourd’hui. C’est notamment le cas car je sais qu’il revient normalement au président français de prendre la parole à la Conférence des ambassadeurs à Paris. C’est un geste que j’apprécie beaucoup.
Tu l’as évoqué dans ton discours : nous vivons une période qui marque un tournant, parce que le monde autour de nous change de manière radicale.
Les États‑Unis voient de plus en plus le reste du monde à travers le prisme de la rivalité avec la Chine. Cela n’aide pas toujours. Dans le même temps, les États‑Unis sont de moins en moins disposés à continuer de jouer le rôle de puissance régulatrice mondiale, un processus qui a commencé avant que Donald Trump ne devienne président.
Nous savons également que la Chine cherche à s’engouffrer avec force dans cette brèche géopolitique – et qu’elle crée des états de fait et recourt à des instruments qui ne peuvent être les nôtres. Rappelons-nous ce qui s’est passé à Hong Kong.
Et des pays comme la Russie et la Turquie en profitent pour réaliser au maximum leurs ambitions hégémoniques sans avoir à faire trop d’efforts.
L’époque où nous, Européens, pouvions récolter sereinement les dividendes de la paix après la disparition du rideau de fer est dans tous les cas révolue. Le voici, le tournant, la voici la réalité dans laquelle nous vivons.
Cher Jean‑Yves, tu t’en es aperçu mieux que beaucoup d’autres – avant même la pandémie de Covid 19, qui a accéléré davantage la mutation que nous vivons. Au mois de janvier, tu avais déclaré devant les ambassadeurs néerlandais que « l’heure des choix est venue » pour l’Europe. L’heure de « décider de ce que nous voulons être, mais aussi du monde dans lequel nous voulons vivre ». Je partage pleinement ton point de vue. Si nous ne le faisons pas, alors l’Europe sera le jouet de tierces parties. Or nous ne devons pas en arriver là.
Mesdames, Messieurs,
Aujourd’hui, huit mois après que tu as prononcé cette phrase, cher Jean‑Yves, il est évident que l’Union européenne a fait son choix. Pour affronter la plus grosse crise qu’elle ait jamais connue – qui a causé la mort de presque 200 000 personnes ainsi qu’un effondrement sans précédent de l’économie –, cette Union européenne que l’on croyait divisée et que l’on a souvent qualifiée de morte et d’enterrée s’est prouvée à elle‑même et a prouvé au monde qu’elle pouvait être solidaire.
Les décisions que nous avons prises en juillet pour faire face à la crise constituent un changement de paradigme. Au vu du chemin qu’a parcouru l’Union européenne et surtout au vu des sujets sur lesquels nous nous sommes querellés et lamentés ces dernières années, cela peut être qualifié d’historique, et peut‑être même de révolutionnaire. Ce n’est pas uniquement dû à l’ampleur du programme de relance ou du cadre financier pluriannuel que nous avons convenus.
Historique, car nous nous inscrivons dans la lignée de l’esprit des mères et des pères fondateurs de l’Europe, de la « solidarité de facto » prisée par Robert Schuman comme le lien unissant l’Europe.
Et révolutionnaire – oui, il y a peut‑être un petit côté révolutionnaire – parce que l’Europe a enfin apporté une réponse à ce que demandait déjà Jacques Delors il y a quelques décennies de cela : « donner une âme à l’Europe, (...) lui conférer (...) une signification plus profonde ».
Mesdames, Messieurs,
Cette âme n’est rien d’autre que de la solidarité européenne vécue. Les gens en font l’expérience dans cette crise – par exemple à travers les allocations de chômage partiel au niveau européen ou le soutien aux petites et moyennes entreprises partout en Europe. Je n’ose même pas imaginer quelle aurait été la réaction des Européens si nous n’avions pas été en mesure de nous mettre d’accord. Je pense que non seulement le projet européen en aurait pâti, mais il aurait même été en péril.
Cette solidarité vécue est en mesure de combler les fossés entre le Nord et le Sud, entre l’Est et l’Ouest, fossés qu’avait creusés auparavant le manque de solidarité, aussi bien pendant la crise financière que dans la gestion des réfugiés. C’est ainsi que se concrétise quelque chose qui paraissait encore tout à fait utopique il y a quelques mois : la possibilité pour l’Europe de sortir de la crise plus forte qu’elle ne l’était auparavant.
Mesdames et Messieurs, chers amis,
Ce moment européen est notre réussite commune, car sans les propositions courageuses de la France et de l’Allemagne, un tel tour de force n’aurait pu réussir, j’en suis fermement convaincu. Je suis donc aussi venu ici aujourd’hui vous remercier, vous remercier du soutien de la France dans ces premières semaines décisives de notre présidence du Conseil. Merci beaucoup, merci de votre soutien !
Mais j’aimerais également ajouter ceci : nous ne devons pas en rester là !
Nous devons réfléchir à la place qui sera celle de l’Europe dans cinq, dix ou quinze ans. Nos deux présidences du Conseil pourraient être le point de départ et la fin d’un tel processus de réflexion qui, par le biais de la « Conférence sur l’avenir de l’Europe », associe tout particulièrement les citoyennes et les citoyens.
Ce faisant, une chose me paraît absolument claire : nous devons traduire cette solidarité retrouvée à l’intérieur en une cohésion toute aussi forte vers l’extérieur. J’en arrive au deuxième grand thème de notre présidence du Conseil : la souveraineté européenne.
Cette souveraineté européenne, cher Jean‑Yves, tu l’as définie ainsi dans ton discours à l’université Charles de Prague : faire en sorte que l’Europe soit « libre de ses choix, libre aussi d’assumer les valeurs qu’elle porte ». C’est précisément de cela qu’il s’agit. Il ne s’agit pas de renoncer à sa souveraineté nationale au profit d’un super‑État bruxellois. Dans un monde globalisé des grandes puissances concurrentes, la capacité d’action de l’Europe est la condition qui permet de préserver la souveraineté des États‑nations.
Par conséquent, cette idée n’est pas en contradiction avec l’Alliance transatlantique. Au contraire : nous voulons une Europe souveraine, une Europe profondément intégrée dans le partenariat transatlantique ! Mais nous devons faire beaucoup plus que ce dont nous avions l’habitude dans le passé. En effet, ce n’est qu’en étant capable de désamorcer elle‑même les crises dans son voisinage que l’Europe restera un allié attractif aux yeux des États‑Unis.
La semaine dernière, lors de la réunion Gymnich à Berlin, nous avons discuté de manière intense des capacités requises pour en arriver là.
Ces idées déboucheront sur la nouvelle « boussole stratégique » qui esquisse les contours de l’ambition de l’Europe en termes de politique de sécurité. Les travaux en la matière commencent maintenant et s’achèveront sous la présidence française du Conseil.
Nous renforçons parallèlement la capacité de réaction aux crises de nos partenaires et voisins, par exemple au Sahel. Les récents développements au Mali montrent à quel point les défis sont énormes. Nous avons encore besoin sur place d’une coopération franco-allemande étroite sur laquelle peut reposer un engagement européen fort.
Nous renforçons également la gestion civile des crises pour en faire une marque de fabrique européenne. Pour ce faire, nous inaugurerons prochainement à Berlin le nouveau Centre européen d’excellence pour la gestion civile des crises.
Tout cela témoigne de l’unité que nous avons vue à Berlin la semaine dernière. Mesdames, Messieurs, cette unité porte ses fruits.
Nous avons ainsi montré ces derniers jours aux dirigeants du Bélarus que nous défendons également nos valeurs et principes démocratiques au‑delà de nos frontières extérieures. Nous ne recourons d’ailleurs pas uniquement à des paroles chaleureuses, mais aussi à des sanctions ciblées à l’encontre de ceux qui oppressent leur propre peuple et qui manipulent les élections.
Concernant la Turquie également, nous avons montré très clairement lors de la réunion Gymnich que nous ne pouvions plus tolérer sa politique déstabilisatrice en Libye et en Méditerranée orientale. La souveraineté européenne protège la souveraineté de tous les États membres, y compris celle de la Grèce et de Chypre. Dans le même temps – et c’est ce que me disaient mes collègues à Ankara et à Athènes la semaine dernière –, seul un dialogue nous permettra de sortir de la crise. Aussi, nous soutenons le processus de dialogue de Josep Borrell avec le ministre turc des Affaires étrangères Mevlüt Çavuşoğlu. Dans le cadre de notre présidence du Conseil, nous ferons tout notre possible jusqu’au sommet européen du 24 septembre pour permettre une désescalade du conflit, conflit qui a atteint depuis des proportions dangereuses.
En outre, nous ne sommes pas restés les bras croisés en Europe face aux agissements de la Chine visant à restreindre les libertés à Hong Kong. Ce fut un processus important ces dernières semaines. Au sein de l’UE, avec notre proposition conjointe, nous avons envoyé un signal en suspendant les exportations d’armes et en allant même jusqu’à élargir nos programmes de visas et de bourses pour les opposants. Car nous savons que seule une Union unie pourra faire entendre sa voix à Pékin. Le ministre chinois des Affaires étrangères vient de te rendre visite et je le rencontrerai demain à Berlin. Je lui dirai exactement ce que tu lui as dit à Paris.
En ce qui concerne la Libye, depuis la conférence de Berlin, nous avons là encore réuni les différentes positions européennes en une position commune. C’est la raison d’être de la proposition germano-franco-italienne : sanctionner ceux qui enfreignent ouvertement l’embargo sur les armes. Nous soutenons avec la même unité un cessez‑le‑feu et une zone démilitarisée entre les parties en conflit. On assiste d’ailleurs actuellement à un élan positif dans ce contexte. Nous œuvrons donc pour le mettre à profit dans le cadre du « processus de Berlin » en vue d’une trêve et d’un cessez‑le‑feu ainsi qu’une fin du blocage des sites pétroliers.
Nombre de ces mesures sont pénibles et longues, et il y a des revers. Néanmoins, je trouve cela encourageant qu’une politique étrangère européenne forte soit possible.
Cependant, le chemin à parcourir vers une souveraineté européenne est encore long – cela aussi, c’est un enseignement que nous avons tiré de la crise du coronavirus. Jean‑Yves, tu l’as toi aussi évoqué. Je pense par exemple aux déficits de la prévention des crises, ou au fait que nous soyons dépendants de pays comme la Chine, l’Inde et le Pakistan pour notre approvisionnement en médicaments vitaux, dépendance qu’il nous faut réduire. Je ne veux pas condamner le commerce mondial libre, mais au vu de la situation actuelle, nous devons rétablir l’équilibre entre la répartition du travail au niveau international et l’indépendance stratégique. Nous voulons profiter de notre présidence pour nous attaquer à de telles questions stratégiques.
C’est la raison pour laquelle je soutiens également ce que tu as dit ici eu égard au secteur de la santé, un secteur élémentaire dans lequel les citoyennes et les citoyens attendent de nous que nous trouvions des solutions qui garantissent encore leurs intérêts et donc aussi les intérêts de l’Europe.
Un autre point important est que nous développons une sorte de souveraineté technologique européenne. Je pense en effet que c’est vital à l’ère du numérique, y compris au vu des rééquilibrages mondiaux. Cela inclut la sécurisation de nos réseaux de données, mais aussi le développement de nos propres capacités de stockage et de services d’informatique en nuage. Dans ce contexte, l’Allemagne et la France ont la possibilité d’aller courageusement de l’avant.
Et aussi pour ce qui est de la mise en place de la technologie 5G, nous, Européens, ne devons pas nous retrouver dans une situation de dépendance qui compromettrait notre assise industrielle, notre sécurité ou bien la protection des données de nos concitoyens. Nous vivons dans un monde numérique qui s’apparente de plus en plus à un monde bipolaire. L’un de ces pôles est la Silicon Valley, le modèle américain, le modèle de la maximisation des profits, pour le dire un peu plus clairement. Le deuxième modèle, le deuxième pôle numérique, est en train de se constituer en Chine, à Pékin. Là‑bas, les possibilités numériques servent à la répression. Ces deux modèles ne peuvent être les modèles de l’Europe. Comme Jean‑Yves l’a mentionné, nous avons besoin d’une troisième voie pour parvenir à la souveraineté technologique. Avoir la mainmise sur les données, c’est avoir la mainmise sur les pays. C’est pour cette raison que la souveraineté numérique est si importante, car la transformation numérique modifie les sphères d’influence. Or si nous n’arrivons pas, par une troisième voie et un minimum d’autodétermination, à nous positionner entre le modèle de maximisation des profits et le modèle répressif, alors nous nous dirigeons vers de grandes difficultés dans les prochaines années.
Toujours en ce qui concerne la souveraineté, nous avons besoin d’un semblant de souveraineté économique. Le marché intérieur commun est notre plus grand atout pour y parvenir. Pourtant, l’Europe reste par exemple vulnérable aux sanctions américaines, qu’il s’agisse du débat sur l’accord nucléaire iranien ou du pipeline Nord Stream 2.
Mais si l’on veut décider ici en Europe de la politique européenne énergétique, étrangère et commerciale, il faut également réfléchir au renforcement de l’euro en tant que monnaie de référence, à des canaux de paiement européens comme INSTEX et, au bout du compte, peut‑être aussi à une banque européenne cotée en euros. Le fait que ce soit déjà le cas à Bruxelles, Paris, Berlin et ailleurs est une étape décisive dans la bonne direction.
Mesdames, Messieurs,
À ce titre, une chose est particulièrement importante à mes yeux : je suis tout à fait favorable à un renforcement de la souveraineté européenne. Pour ce faire, je suis aussi prêt à ne pas esquiver les débats inconfortables en Allemagne. Mais je tiens également à préciser que la souveraineté européenne ne signifie pas « Europe First ». La souveraineté européenne est une souveraineté coopérative.
À l’instar de l’Union européenne qui repose sur l’idée qu’une communauté est plus que la somme de ses parties, nous n’avons pas d’autre choix que de coopérer davantage à l’échelon international. Car tous les grands défis du XXIe siècle – les pandémies, le changement climatique, la transformation numérique, la migration – ont un dénominateur commun : ils ne connaissent aucune frontière, aucune frontière nationale. Nous avons donc besoin de solutions transfrontalières, c’est‑à‑dire internationales.
C’est cette conviction qui fait du multilatéralisme le pilier central de notre politique étrangère européenne. Et inversement, l’Europe doit elle‑même devenir encore davantage le pilier central du système multilatéral.
Le retrait des États‑Unis des organisations et des traités internationaux, mais aussi le comportement de la Chine ou de la Russie dans les organisations multilatérales occasionnent depuis longtemps des séquelles permanentes.
Pendant la crise du coronavirus, c’est donc l’Union européenne qui, à travers des conférences des donateurs et des nouvelles alliances, a levé plusieurs milliards pour la recherche d’un vaccin. Nous avons appuyé l’OMS au moment même où d’autres lui ont tourné le dos. À y réfléchir, sortir de l’OMS pendant une pandémie, c’est comme si on lançait par la fenêtre le pilote d’un avion en plein vol. Et c’est dans le cadre de l’Alliance pour le multilatéralisme créée par l’Allemagne et la France, cher Jean‑Yves, notre projet commun, que plus de 60 États se sont mis d’accord sur une chose : les médicaments contre le virus et un futur vaccin doivent être des biens publics mondiaux.
Pour moi, cela montre non seulement à quel point le monde a besoin de l’Europe, mais aussi tout ce qu’une Europe unie peut accomplir dans le monde.
Et cette « Europe United », Mesdames et Messieurs, nécessite un cœur franco-allemand. Le programme européen de relance, les progrès réalisés dans la politique étrangère européenne, l’Alliance pour le multilatéralisme – tout cela n’aurait pas été possible sans la coopération franco-allemande, sans la concertation étroite entre nos deux pays.
Dans le même temps, j’aimerais dissiper deux malentendus auxquels notre coopération se voit confrontée dans certains pays.
Premièrement : le moteur franco-allemand ne fonctionne pas uniquement quand il ronronne sereinement – au contraire ! Ce moteur n’est rien d’autre qu’une machine à compromis mue par la volonté d’équilibrer en permanence les différentes positions qui ont existé dans le passé, qui existent et qui existeront. Il est évident que cela génère des frictions, mais c’est la seule façon de trouver des solutions qui, en Europe, soient également viables pour d’autres.
Le deuxième malentendu consiste à miser uniquement sur le couple franco-allemand. Certes, les compromis franco-allemands sont une condition indispensable pour faire avancer l’Europe, j’en suis fermement convaincu. Mais ces compromis à eux seuls ne suffisent pas ! Nous l’avons clairement vu ces dernières semaines. C’est la raison pour laquelle Jean‑Yves et moi nous nous efforçons plus que jamais d’associer encore davantage les autres pays. D’un côté, les attentes placées en nous sont grandes, mais d’un autre côté, la crainte d’être laissé pour compte l’est aussi.
C’est donc une bonne chose que nous ayons discuté la semaine dernière à Berlin d’une politique européenne commune à l’égard de la Russie. Bien entendu, Moscou est perçue différemment selon qu’on habite à Varsovie, à Tallinn, à Lisbonne ou à Rome. Il faut bien en tenir compte. Nous avons d’une part besoin de relations constructives avec Moscou car sans la Russie ou bien en agissant contre elle, l’Europe ne sera pas plus en sécurité – il s’agit là d’un principe bien compris de la realpolitik européenne. D’autre part, nous disons très clairement que des nuages sombres planent sur nos relations. Les sanctions seront maintenues tant que rien n’aura été entrepris pour changer la donne. Et naturellement, nous attendons de la Russie qu’elle contribue davantage à faire la lumière sur l’affaire Navalny.
Le Brexit joue lui aussi évidemment un rôle dans nos réflexions sur la politique étrangère européenne. Car même si nous souhaitons avoir une coopération qui soit la plus étroite possible avec le Royaume‑Uni en matière de politique étrangère et de sécurité, l’importance du groupe E3 ne restera pas la même si nous ne jetons pas un pont entre cette politique et Bruxelles.
Et inversement, cela signifie que des pays comme l’Italie, l’Espagne ou la Pologne doivent assumer de plus grandes responsabilités pour façonner la politique étrangère européenne. Des groupes tels que le groupe de Visegrad, les pays baltes, les pays riverains de la Méditerranée ou les Pays‑Bas et les pays nordiques prennent leur place dans ce que Josep Borrell appelle « l’équipe d’Europe ».
Et cela me ramène à vous‑mêmes et à votre mission, Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs, vous qui plaidez jour après jour en faveur de cet esprit d’équipe. Je sais que souvent, ce n’est pas facile. Et malgré cela, nous avons pu montrer dans le passé que cet esprit d’équipe est possible. Ne vous lassez donc jamais de le promouvoir : vous qui représentez la France, vous qui – en tant que partenaires du couple franco-allemand – partagez des informations ou rédigez des rapports communs partout dans le monde avec des diplomates allemands, vous qui rapportez le point de vue de vos pays hôtes respectifs et qui cherchez des compromis.
Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs, c’est vous qui donnez corps à « l’équipe d’Europe ».
L’objectif, c’est la souveraineté européenne.
La solidarité européenne en est le socle.
Merci beaucoup !