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Discours du ministre adjoint Michael Roth à l’occasion de sa visite d’adieu à Paris
Le ministre adjoint chargé des affaires européennes et secrétaire général pour la coopération franco-Allemande, Michael Roth, recoit la Légion d'honneur des mains de son homologue Clément Beaune, © Andreas Krüger
La boucle est bouclée : le 18 décembre 2013, un jour après ma prise de fonctions comme ministre adjoint chargé des affaires européennes, je faisais mon premier déplacement à Paris. Je me souviens encore de ma première rencontre avec mon homologue de l’époque, Thierry Repentin. Huit ans après, à deux jours de la fin de mon mandat, mon dernier voyage de ministre adjoint me conduit de nouveau à Paris. J’avais à cœur qu’il en soit ainsi, y compris comme signe du rôle extraordinaire qu’a joué la coopération franco-allemande dans ces années de travail.
Cher Clément, je suis particulièrement heureux de me voir ici remettre la Légion d’honneur, de tes mains, en compagnie de plusieurs camarades. Je remercie la République française pour cette reconnaissance et cet honneur.
Nous sommes à la veille de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, au premier semestre de l’année 2022. Les attentes à votre égard sont grandes, équivalentes à celles qui entouraient la présidence allemande du Conseil de l’UE l’an passé. Je suis certain qu’elle est entre de bonnes mains ! D’expérience, je sais que quiconque veut guider l’UE avec succès doit se faire intermédiaire, jeter des passerelles – et donner de l’élan !
Cher Clément, tu as dit dans ton discours que l’Europe avait toujours été la boussole de mon action politique. Comme tu as raison ! L’avenir de l’Europe, la coopération européenne, l’engagement pour la démocratie et l’état de droit me tiennent tout particulièrement à cœur. Et je suis reconnaissant d’avoir pu, au cours des huit dernières années, contribuer modestement à ce que l’Europe fasse des progrès tangibles dans de nombreux domaines, en dépit d’un nationalisme et d’un populisme pullulants. Car l’Europe reste notre meilleure assurance-vie dans un monde en proie aux crises et aux conflits !
Depuis mon entrée au Bundestag allemand comme député, en 1998, l’Europe n’a cessé de m’accompagner. Mais je l’avoue : la proximité avec la France n’a pas été forcément innée. J’ai grandi dans la Hesse du Nord, près de l’ancienne frontière intérieure séparant RFA et RDA : bien loin de la France. Les vacances d’été ? Pas en France ! À l’école aussi, j’ai malheureusement décliné le français pour me tourner vers le latin. Mes professeurs m’avaient conseillé de choisir français parce qu’un enfant d’ouvrier comme moi ne réussirait pas forcément à aller au lycée. C’est que le français était proposé en cycle court au collège, le latin seulement au lycée. J’ai voulu montrer à ces professeurs ce que je valais – et j’ai choisi le latin.
Je l’ai regretté plus d’une fois durant ces dernières années, quand je vous rencontrais, toi, cher Clément, ou l’une ou l’autre de tes prédécesseurs. Mais la communication a plutôt bien marché en anglais. Même si nous ne maîtrisons malheureusement pas la langue maternelle de l’autre, nous nous sommes entendus et bien compris au plan politique : nous étions d’accord dans notre engagement pour une Europe forte, solidaire, pour une Europe du droit et de la démocratie qui n’est pas seulement un marché intérieur, mais avant tout une communauté de valeurs partagées.
J’ai tant appris sur la France durant toutes ces années ! J’ai été aidé en cela par une coopération toujours étroite et empreinte de confiance avec toi, cher Clément, et avec les cinq hommes et femmes qui t’ont précédé. Durant mon mandat, pouvoir systématiquement compter sur les conseils d’un ou d’une diplomate de France au sein de mon équipe m’a aussi été d’un grand secours, et j’en suis grandement reconnaissant. Marc Servies, Lucie Stepanyan et Emmanuelle Gallet ont merveilleusement su me faire comprendre les embûches et les subtilités de la politique française. Merci du fond du cœur, vous avez été de formidables ambassadeurs, ambassadrices et interprètes de votre patrie ! Je ne l’oublierai jamais.
Quand je passe en revue ces huit années, je pense aux innombrables rencontres, réunions et voyages communs : je pense à mes six homologues français, aux trois ministres allemands des Affaires étrangères, mine de rien, aux nombreuses et nombreux formidables collègues des ambassades et des services ministériels, sans oublier nos innombrables camarades de lutte de la société civile. Nous avons travaillé ensemble à des solutions européennes dans les nombreuses épreuves de force communes que nous avons traversées, et je vous en suis reconnaissant. Cela nous a parfois demandé beaucoup de patience et de capacité de compromis – mais cela en a toujours valu la peine.
Car une chose est sûre : sans un tandem franco-allemand comme force de proposition, l’UE ne tourne pas tout à fait rond. Et en dépit de positions souvent divergentes au départ, la volonté politique de surmonter les différends et de trouver une position franco-allemande et au bout du compte européenne commune finit en général par l’emporter. C’est une réalité sur laquelle nous avons toujours pu compter. Et c’est précisément cette capacité de compromis qui fait toute la spécificité des relations franco-allemandes et qui rend notre coopération aussi précieuse pour l’Europe. En effet, l’expérience nous montre régulièrement qu’une fois que l’Allemagne et la France trouvent un accord, ce dernier constitue en général une bonne base pour une entente dans toute l’Europe. L’équipe franco‑allemande est au service de l’Europe ! À bas les égotrips ! Nous sommes inclusifs et accueillants, et non pas exclusifs et prétentieux.
J’aimerais ici mettre en exergue des thèmes qui nous ont tout particulièrement occupés ces dernières années.
Aucune crise ni aucune épreuve ne nous aura été épargnée. De l’Ukraine à la crise de la dette souveraine grecque, du comportement nationaliste et populiste du gouvernement Trump au Brexit, d’une terrible pandémie à la crise de l’état de droit. L’Europe a subi des vents contraires venus des directions les plus diverses. Il importe d’autant plus que l’UE fasse preuve de cohésion et ne laisse aucune division s’installer. Ensemble, nous avons tenté de jeter des ponts entre Est et Ouest, entre Nord et Sud, entre anciens et nouveaux États membres. Je me réjouis que nous ayons pu organiser plusieurs réunions du Triangle de Weimar au cours des dernières années. Car telle est la mission particulière du partenariat franco-allemand : ne pas être une « société fermée », mais rester ouvert et prêt à être rejoint par d’autres partenaires de l’UE. Les réunions du Triangle de Weimar qui me resteront le plus en mémoire ont eu lieu en dehors des capitales, à Lens en 2020 avec Amélie ou en 2014 dans ma région d’origine, la Hesse du Nord, avec Harlem.
Des thèmes inconfortables étaient à l’ordre du jour, dont l’état de droit, mon cheval de bataille. Nous partageons la conviction qu’il ne saurait y avoir de rabais en matière de démocratie, d’état de droit, de valeurs communes. La présidence allemande du Conseil de l’Union européenne, en 2020, avait fait du renforcement de l’état de droit une priorité particulière, créant à cette occasion de nouveaux instruments. Je me réjouis que la présidence française du Conseil classe elle aussi ce sujet parmi les priorités de son programme et qu’elle souhaite continuer à utiliser ces dispositifs.
L’Europe que nous souhaitons est une Europe de cohésion et d’avancée, pas une Europe qui fait des rabais sur nos valeurs et nos principes fondamentaux. Les relations franco-allemandes ont été un moteur et un accélérateur à cet égard. À titre d’exemple, j’aimerais citer le plan de relance pour la lutte contre la pandémie. Si l’Allemagne et la France n’avaient pas présenté ensemble une proposition ambitieuse, nous n’aurions vraisemblablement toujours pas d’accord sur le Fonds européen pour la relance.
Le Traité d’Aix-la-Chapelle a constitué une autre avancée : ce nouveau traité sur la coopération et l’intégration franco-allemandes constitue une profession de foi pour une Europe forte, parée pour l’avenir et souveraine. Nous avons ainsi porté notre partenariat à un nouveau niveau, au service de l’Europe.
Dans de nombreux domaines, nous avons posé des jalons pour rapprocher encore nos deux pays et nos sociétés civiles. Car les relations franco-allemandes n’ont rien d’un simple raout intergouvernemental. Au contraire, elles vivent du tissu dense de contacts entre les sociétés de nos deux pays. Jumelages, échanges scolaires, projets culturels... Par le prix De Gaulle-Adenauer, nous avons récompensé des projets exceptionnels qui incarnent la diversité et la densité du partenariat franco-allemand : les écoles professionnelles de Kehl, le duo de hip-hop Zweierpasch ou l’association Une Terre Culturelle. Tous, ils ont, au plein sens du terme, ouvert des portes, franchi des frontières et construit des ponts.
Et naturellement, je ne peux pas évoquer le Traité d’Aix-la-Chapelle sans mentionner la coopération transfrontalière. Plus on traite les sujets dans la profondeur, plus ils deviennent complexes. Je parle ici de la politique dite « du dernier kilomètre ». Parfois, la volonté politique ne suffit pas, il faut des solutions concrètes qui puissent être mises en œuvre. Dans ce dossier hautement politique, et avec le Comité de coopération transfrontalière, nous avons bien avancé, même si nous n’avons pas résolu toutes les difficultés pratiques. Donnons davantage de liberté aux responsables locaux. Faisons-leur confiance !
Il y a eu, et il reste, des sujets parfois controversés entre nous. Cher Clément, Mesdames et Messieurs, je suis ici entouré d’amis et d’amies et vous me connaissez. Je dis toujours ce que j’ai sur le cœur.
L’élargissement. Cela a toujours constitué un sujet compliqué avec mes amis français. Comme vous le savez, je suis un fervent défenseur de l’élargissement de l’UE aux Balkans occidentaux. Ce n’est pas seulement ma conviction profonde, mais aussi d’un point de vue pragmatique la bonne voie : les Balkans occidentaux ne sont pas l’arrière-cour, mais bien la cour intérieure de la maison européenne. Si la perspective d’adhésion à l’UE ne se concrétise pas rapidement, ce sera un facteur d’instabilité et la porte ouverte aux autres grandes puissances. La semaine dernière, à Sarajevo, je me suis entretenu avec quantité de représentantes et de représentants. Cela n’a fait que renforcer mes convictions. Alors je me permettrai un dernier plaidoyer : il est grand temps que les discussions avancent. La souveraineté de l’UE en politique extérieure et de sécurité se joue d’abord et avant tout dans notre capacité à stabiliser et pacifier toute l’Europe – et il nous reste beaucoup à faire dans l’Est et le Sud-Est de l’Europe à ce niveau !
Il n’y a pas d’avenir sans mémoire. En tant que ministre adjoint chargé des affaires européennes et secrétaire général pour la coopération franco-allemande, j’ai essayé aussi souvent que possible de contribuer à ce que l’observation du passé aiguise aussi notre vision du présent et du futur.
Un voyage en France me reste tout particulièrement en mémoire : en novembre 2018, j’ai été le premier membre d’un gouvernement allemand à visiter le village de Maillé. Dans ce petit village, les troupes allemandes ont commis, le 25 août 1944, un massacre barbare au cours duquel 124 personnes ont connu une mort atroce. J’ai eu le grand honneur, lors de cette visite, de remettre à Serge Martin la Croix de chevalier de l’Ordre du mérite de la République fédérale d’Allemagne. Monsieur Martin est l’un des habitants à avoir survécu à l’effroyable massacre. Toute sa vie, il l’a consacrée au souvenir et à l’éducation à la paix et à l’entente entre les peuples. Alors que je reçois aujourd’hui cette décoration de la République française, j’aimerais lui rendre hommage – empreint d’une profonde admiration et d’une grande sympathie.
Maillé est comme Ypres et Verdun, Auschwitz, Stalingrad et Srebrenica l’un des nombreux théâtres d’atrocités en Europe. Ces lieux nous rappellent à quoi peuvent mener la haine et un nationalisme aveugle. De nos jours, les conflits dans l’UE ne se règlent plus, fort heureusement, sur le champ de bataille mais à la table de négociation. Les ennemis jurés d’hier sont devenus des amis et des partenaires qui vivent ensemble et travaillent étroitement dans la paix et le respect. Quel remarquable progrès de la civilisation !
Dans deux jours, je quitterai mes fonctions de ministre adjoint chargé des affaires européennes et de secrétaire général pour la coopération franco-allemande. Ces huit années ont été formidables.
Mais comme l’a chanté la merveilleuse Trude Herr, qui a d’ailleurs vécu au soir de sa vie dans le Sud de la France, dans un de ses succès : « On ne part jamais complètement, une part de moi toujours reste ici. »
Cela ne saurait être une menace, mais j’en suis certain : nous nous reverrons ! Vive l’amitié franco-allemande ! Vive l’Europe !