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L’inégalité femmes-hommes face aux prix scientifiques : perspectives franco-allemandes sur une réalité méconnue
Selon des chercheurs de Düsseldorf, les prix scientifiques majeurs distinguent plus souvent des hommes que des femmes. Mais la prise de conscience de ce phénomène progresse, © picture alliance / Zoonar | Wosunan Photostory
Selon des chercheurs de Düsseldorf, les prix scientifiques majeurs distinguent plus souvent des hommes que des femmes. Cette réalité méconnue entrave la carrière des femmes. L’ambassade d’Allemagne en France accueillait cette semaine un débat sur le sujet.
Chimie, physique, médecine : le monde découvrira bientôt la promotion 2024 du Prix Nobel. Comptera-t-elle beaucoup de femmes ? Nul doute qu’on posera la question au professeur Nils Hansson. Ce professeur d’histoire de la médecine à l’Université de Düsseldorf dirige le programme « Gender Award Gap ». Ses travaux s’intéressent aux inégalités de genre dans l’attribution des prix scientifiques. Depuis 2021, il a mis en évidence avec son équipe la sous-représentation des femmes parmi les lauréats. Il était cette semaine à Paris pour un débat franco-allemand sur cet aspect méconnu du « plafond de verre » auquel se heurte encore trop souvent la carrière des femmes.
La discussion avait lieu à l’hôtel de Beauharnais à l’invitation de l’ambassadeur d’Allemagne en France, Stephan Steinlein. Deux éminentes scientifiques françaises ont apporté leurs éclairages et analyses aux côtés de Nils Hansson : les sociologues françaises Gisèle Sapiro, professeure à l’EHESS et directrice de recherche au CNRS, et Eva Illouz, professeure à l’Université hébraïque de Jérusalem et à l’EHESS.
Le « plafond de verre » entrave les carrières scientifiques des femmes
Stephan Steinlein a d’abord rappelé les efforts déployés par les gouvernements des deux côtés du Rhin pour améliorer l’égalité entre les genres dans les carrières scientifiques. Or, malgré les progrès réalisés, il faut le constater : la France (29,9 %) comme l’Allemagne (29,4 %) affichent des taux de féminisation particulièrement bas dans les métiers de la recherche et développement.
Et plus l’on s’élève dans les carrières académiques, plus ce taux diminue. Parmi les doctorants, on recense 45 % de femmes en France, et 46 % en Allemagne. Parmi les professeurs, seulement 25 % en Allemagne et 29 % en Allemagne. Un tiers des universités publiques allemandes sont dirigées par des femmes, quatre sur dix en France.
Face à ce constat, des questions se posent. Comment les carrières scientifiques se construisent-elles ? Comment s’acquièrent la reconnaissance et la visibilité, critères décisifs pour obtenir par la suite des financements de recherche, des invitations dans les congrès etc. ?
Les prix, facteur de visibilité
Et quel est le rôle des prix scientifiques ? « Pour autant que ce soit le cas, si les femmes obtiennent plus rarement que les hommes des prix et des récompenses scientifiques, même lorsqu’elles en remplissent les conditions, cela représente pour leurs carrières scientifiques une entrave larvée, et non sans conséquences », a souligné M. Steinlein.
Sur ce point, les recherches menées à l’Université de Düsseldorf apportent de nouvelles données. Le programme Gender Award Gap, mené entre 2021 et 2024 avec le soutien du ministère fédéral de l’Éducation et de la recherche (BMBF) a tenté de comprendre la manière dont fonctionne la culture de la reconnaissance en médecine.
Prise de conscience des inégalités dans l’attribution des prix
Les chercheurs ont mis en évidence que les prix prestigieux et fortement dotés ont une influence majeure sur la carrière de leurs lauréats. Ils ont également montré que les jurys avaient tendance à les attribuer plus souvent à des hommes qu’à des femmes. « Moins de 10 % des Prix Nobel ont récompensé des femmes depuis 1901. Ils ont ainsi contribué à la visibilité des hommes, mais aussi à l’invisibilité des femmes », a ainsi regretté M. Hansson à Paris.
Mais les recherches menées à Düsseldorf ont aussi fait apparaître des tendances positives. Au cours des cinq dernières années, le nombre de femmes lauréates a beaucoup augmenté, contribuant à réduire les inégalités. Simultanément, la prise de conscience de ces inégalités et de la nécessité d’y remédier a considérablement progressé.
« Les récompenses accordées aux femmes sont le fruit de luttes historiques portées par les féministes », a rappelé la sociologue Gisèle Sapiro. Il faut espérer que la prise de conscience actuelle permettra de faire avancer les choses.
Car « notre avenir et notre prospérité dépendent aussi de l’importance que nous accordons à l’égalité dans le domaine de la science et de la recherche, et de notre persévérance à offrir des parcours de recherche équitables aux hommes et aux femmes », a souligné Stephan Steinlein. « Dans une perspective économique, il n’est ni compréhensible, ni moralement acceptable que l’excellence au féminin, et partant les talents d’une part importante de la population, soit trop peu utilisée dans le domaine des sciences et de la recherche. »
A.L.