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Thomas Mann, un écrivain dans le siècle

Thomas Mann assis à son bureau, 1941, bibliothèque de l'École polytechnique fédérale de Zurich, Archives Thomas Mann, Photo : inconnu © Musées de Lübeck
Prix Nobel de littérature, voix de l’Allemagne en exil sous le nazisme, conscience morale : Lübeck célèbre le 150e anniversaire de la naissance de Thomas Mann (1875-1955). Une exposition retrace l’engagement démocratique d’un auteur aussi incontournable qu’actuel.
La Mort à Venise, La Montagne Magique, Les Buddenbrook : son œuvre a nourri l’imaginaire de générations de lecteurs. Le 6 juin 1875, l’écrivain Thomas Mann (1875-1955) voyait le jour à Lübeck (nord de l’Allemagne). La ville hanséatique célèbre aujourd’hui son 150e anniversaire à travers une cérémonie en présence du président allemand, Frank-Walter Steinmeier, et l’inauguration d’une exposition. Ce sont les temps forts d’une riche année de commémorations qui souligne l’actualité de ses engagements. Lauréat du Prix Nobel de littérature en 1929, Thomas Mann a aussi été la voix de l’Allemagne en exil sous le nazisme et une conscience morale écoutée.
L’écrivain naît dans une famille de commerçants lübeckois. Il s’inspire de son enfance pour écrire son premier roman, et premier succès, Les Buddenbrook (1901). Il y fait le récit de l’effondrement d’une grande famille de commerçants de la Hanse dont la descendance est davantage attirée par les arts que mue par le goût des affaires. Lui-même préfère la voie de la littérature au commerce, tout comme son frère aîné Heinrich Mann (1871-1950). La mort prématurée du père, en 1891, facilite les choses. Elle conduit la famille Mann à s’installer à Munich. La rente tirée du patrimoine familial permet une existence autonome.
Itinéraire d’un démocrate
En 1905, Thomas Mann épouse Katia Pringsheim, fille d’une riche famille d’intellectuels. Ils ont six enfants. Trois d’entre eux deviendront écrivains (Erika, Klaus et Golo Mann). Thomas Mann fait ainsi le choix d’une existence bourgeoise. Simultanément, il donne libre cours à ses fantasmes homoérotiques dans son journal, ou dans la nouvelle La Mort à Venise (1911) qui met en scène un professeur tombant amoureux d’un jeune garçon sur fond de lagune.
Politiquement, il est monarchiste. En 1914, quand la Première Guerre mondiale éclate, il en est un ardent partisan de l’entrée en guerre. Un conflit éclate avec son frère Heinrich, qui est au contraire un fervent pacifiste. En octobre 1918, Thomas Mann fait encore l’éloge de la politique militaire impériale dans les Considérations d’un apolitique. Mais il change radicalement de position après l’avènement de la République de Weimar (1919). Il défend celle-ci sans ambiguïté dans un discours (« Von deutscher Republik ») le 13 octobre 1922. Il se mue en un fougueux défenseur de la démocratie.
C’est aussi à cette période qu’il termine la rédaction de La Montagne Magique (1924), considérée comme son œuvre maîtresse. Ce roman d’un millier de pages, écrit entre 1912 et 1923, se déroule dans un sanatorium de Davos, dans les Alpes suisses. Il met en scène à travers ses personnages les grands débats sociaux et existentiels : la science, la foi, la politique, la mort et la vie, le désir et l’amour, la guerre et la paix. En 1929, Thomas Mann reçoit le Prix Nobel de littérature. C’est une consécration.
Mais l’écrivain ne reste pas longtemps en paix. Il voit venir le danger qui guette l’Allemagne. En 1930, trois ans avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir, il prononce un réquisitoire enflammé contre les nazis. La même année, il publie la nouvelle Mario et le Magicien, qui peut se lire comme un avertissement contre les structures du totalitarisme. Au printemps 1933, au terme d’une tournée de conférences à l’étranger, il choisit de ne pas rentrer dans l’Allemagne désormais hitlérienne. Un long chemin d’exil débute. Il le mène en Suisse, puis via le sud de la France aux États-Unis. L’Allemagne nazie lui retire la nationalité allemande en 1936.
Voix de l’Allemagne en exil
À partir de 1938, Thomas Mann enseigne à Princeton. En 1942, il déménage à Los Angeles. Sa résidence à Pacific Palisades, face à l’océan Pacifique, devient le point de rencontre de nombreux intellectuels et artistes allemands en exil, d’Albert Einstein à Bertolt Brecht en passant par Theodor Adorno et Arnold Schönberg. Le bâtiment, largement épargné par les récents incendies de Los Angeles, a été racheté en 2016 par l’État allemand. Il est devenu pôle de rencontres et d’échanges culturels et politiques entre les deux rives de l’Atlantique.

Aux États-Unis, Thomas Mann rédige la trilogie Joseph et ses frères et Le Docteur Faustus. Mais surtout, il s’engage. Entre 1940 et 1945, il s’adresse à ses concitoyens restés en Allemagne à travers 58 allocutions « aux auditeurs allemands ». La BBC les diffuse en Allemagne. Thomas Mann y défend les valeurs de la démocratie. Il expose sa conviction qu’elle gagnera. Il informe aussi ses auditeurs de l’existence des camps de concentration, et les met en garde contre les conséquences morales de leur silence. Après la capitulation de l’Allemagne nazie, il décide de rester aux États-Unis. En 1952, le vent du maccarthysme le pousse toutefois à rentrer en Europe, en Suisse. Il s’éteint le 12 août 1955 à Zurich.
Un combat très actuel, mis à l’honneur par une exposition
70 après sa disparition, son combat n’est pas mort. Il demeure, au contraire, très actuel, souligne Caren Heuer. Selon la directrice de la Buddenbrookhaus, maison natale de Thomas Mann reconvertie en Centre Heinrich et Thomas Mann, « son exhortation à ne pas se laisser piéger par les réponses simplistes et les séductions populistes n’a pas pris une ride. […] La démocratie a besoin de chacun d’entre nous, ou elle va à l’échec. C’est aussi vrai aujourd’hui qu’il y a un siècle ».
À l’occasion du 150e anniversaire de la naissance de Thomas Mann, la Buddebrookhaus inaugure aujourd’hui une exposition sur le cheminement politique de l’écrivain. Elle est présentée au musée Saint-Anne de Lübeck jusqu’au 18 janvier 2026.
Elle retrace son itinéraire intellectuel du conservatisme monarchiste au républicanisme de raison puis à la défense fervente de la démocratie. Mais surtout, elle le fait parler directement à travers ses discours, ses articles, ses essais, ses journaux intimes, ses interviews et ses allocutions radiodiffusées. Le parcours s’organise autour d’un discours célèbre que Thomas Mann a prononcé à Chicago en 1950. Il s’intitule « Meine Zeit » (« Mon époque »). L’écrivain y prend clairement position contre « l’État total » et toute « dictature dogmatique ». À partir de là, l’exposition jette de nombreux ponts vers notre époque, tout en explorant la vie et l’œuvre de Thomas Mann.
A.L.